Artistes : Nicolas de Staël

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Nicolas de Staël (1913-1955)

 


Du 15 septembre 2023 au 21 janvier 2024
Le Musée d’Art Moderne de Paris consacre une grande rétrospective à Nicolas de Staël (1914-1955), figure incontournable de la scène artistique française d’après-guerre. Vingt ans après celle organisée par le Centre Pompidou en 2003, l’exposition propose un nouveau regard sur le travail de l’artiste, en tirant parti d’expositions thématiques plus récentes ayant mis en lumière certains aspects méconnus de sa carrière (Antibes en 2014, Le Havre en 2014, Aix-en-Provence en 2018).


« L’espace pictural est un mur mais tous les oiseaux y volent librement. À toutes profondeurs. »
(N. de Staël, lettre au poète Pierre Lecuire, 3 décembre 1949)

 

ttps://www.arte.tv/.../nicolas-de-stael-la-peinture-a-vif/

https://www.mam.paris.fr/.../exposition-nicolas-de-stael

 

Descendant d’une vieille noblesse germanique installée en Russie, Nicolas de Staël, encore enfant, émigre avec ses parents après la Révolution soviétique de 1917. La mort de ceux-ci, survenue en Pologne lors de cet exil, le jette dans l’orphelinat. Il est alors confié à une famille de Bruxelles de descendance sarde. Emmanuel Fricero, son père adoptif, élève de l’Ecole centrale de Paris, souhaite qu’il devienne ingénieur. Mais, dès cette époque, Nicolas n’a de goût et de penchant que pour les disciplines littéraires et artistiques. Ses études achevées, il se tourne résolument vers l’art pictural.
La carrière artistique de ce peintre génial fut brève. Il se donnera la mort à Antibes le 16 mars 1955. Mais, en l’espace de quinze années, il aura réalisé 1120 tableaux dont la diversité d’inspiration ne fut que le reflet d’une recherche intérieure continuelle, tourmentée parfois, passionnée toujours.
Ses voyages eurent sur lui une influence déterminante : les Pays-Bas où il découvre l’art flamand, le midi de la France qui lui permet d’admirer Paul Cézanne, Henri Matisse, Chaïm Soutine, Georges Braque, l’Espagne enfin qu’il sillonne à vélo avec l’ami Benoît Gilsoul, et, à partir de Madrid, avec Emmanuel d’Hooghvoost. En 1937, il se trouve à Marrakech et y fait la connaissance de sa future première épouse, Jeannine Guillou qui, à ce moment-là, est mariée à un Polonais, Olek Teslar. Cette Bretonne, originaire de Concarneau, pratique elle aussi la peinture. Le voyage qu’ils feront ensemble en Italie lui enseignera certainement beaucoup sans apporter une réponse définitive à ses questionnements artistiques. Nicolas et Jeannine vivront des années de guerre particulièrement pénibles. Nicolas, engagé dans la Légion étrangère, sera démobilisé le 19 septembre 1940 et la rejoindra à Nice. Il fait la connaissance d’Alberto Magnelli qui sera pour lui un précieux soutien tout comme Félix Aublet qui l’introduira dans les milieux artistiques. Ses toiles se vendent mal, d’autant qu’il s’oriente nettement vers l’art abstrait qui, à cette époque, demeure encore peu plébiscité. Jeannine donne naissance à une fille, Anne, le 22 février 1942. Nicolas aimerait épouser Jeannine, mais les complications liées au divorce de celle-ci, l’en empêchent. Ces trois années passées à Nice peuvent être considérées comme le “premier” atelier du peintre qui emploie désormais le nom de compositions pour qualifier ses œuvres.

Le couple revient à Paris en 1943. Ils sont hébergés dans un hôtel particulier appartenant à Jeanne Bucher. En mai 1944, la galerie L’Esquisse organise une exposition autour des ses tableaux. Elle n’aura pas un grand succès. Mais Georges Braque exprime son admiration. Entre eux naît alors une authentique amitié. Le peintre se débat pourtant dans de terribles difficultés financières, malgré l'aide de Félix Aublet. La situation familiale est désastreuse : « Il n'y avait pas de repas. Un sac de farine nous donnait des crêpes à l'eau. La queue longuement tirée avec des tickets d'alimentation ramenait un peu de lait, un peu de beurre. » Jeannine est, quant à elle, en mauvaise santé et elle le cache aussi bien à sa fille Anne, qu'à son mari dont elle « soutient l'élan dans le travail. Nicolas voyait grandir ses tableaux sans soupçonner que l'état de Jeannine s'amenuisait. Elle était moralement très forte et physiquement fragile. Dans la conscience des tensions de la création, les tensions de la vie ont lâché. (…) Jeannine mourut sur le quai d'un immense tableau : Composition bleue. » Le 20 février 1946, Jeannine rentre à l'hôpital Baudelocque afin de subir une IMG. Mal conclue, elle en meurt le 27 février 1946.

Quelques mois après le décès de Jeannine, le peintre épouse Françoise Chapouton. Le couple l’avait embauchée pour s’occuper de leurs enfants, Anne (fille de Nicolas) et Antek (fils d’Olek Teslar). Les années 1945-1950 couvrent une période sombre où l’abstraction est mise à nu : Composition en noir (1946, huile sur toile, 200x150 cm), Orage (1945, 130x90 cm)... L’artiste prend néanmoins ses distances avec l’abstraction pure. En vérité, il refuse de s’aligner sur un quelconque courant identifiable. « De 1945 à 1949, la peinture de Staël se présente comme un faisceau, un lacis de formes impulsives dont les éléments formateurs, nés d’une décision rapide, loin de se perdre instantanément en elle, font valoir leur énergie propre. » André Chastel y perçoit cependant une « involution », ceci pour définir les œuvres de l’immédiate après-guerre. « Il posa à côté d’une douleur profonde le ton de la joie la plus haute », écrit sa fille.

La Vie dure (huile sur toile, 142x161 cm), réalisée en octobre 1946, reflète un contexte infiniment dramatique. Après la disparition de Jeannine Guillou, le peintre écrit à la mère de celle-ci qu’il « serait bien content de mourir » à son tour. La Vie dure figure l’image des amants maigres aux ossements entrelacés. D’ici, le peintre est nettement remarqué pour ses formes linéaires : bâtonnets, grilles serrées, structures étroites, le tout dans des tonalités sombres. Cette toile et celles qui suivent - De la danse, Ressentiment, Hommage à Piranese - l’inscrivent encore, aux yeux des critiques, dans l’art abstrait. Préparé entre la fin de 1946 et le début de l’année 1947, De la danse paraît être quand même une transition entre les œuvres « noires » de l’artiste et les premières manifestations des « éclaircissements de la couleur » qui surgiront dans Hommage à Piranese. Les propos d’Anne de Staël prennent ici leur sens profond. De la danse ridiculise les approximations entretenues par une certaine critique. « Outre la réelle évocation de la danse, ce tableau contient tous les éléments d’une peinture classique », nous disent Prat et Bellet. (opus cité) Cette grande composition se rattache aussi bien, àvec ses bleus mat et ses taches rouges, à l’art d’un Braque ou d’un Roger de La Fresnaye qu’à une tradition française de la tapisserie, en vigueur entre le XIVe et le XVIe siècle (L’Apocalypse d’Angers, La Dame à la licorne). Hommage à Piranese (1948, huile sur toile, 73x100 cm) est un hommage aux Carceri d’invenzione du graveur vénitien Piranese datant du milieu du XVIIIe siècle. Le tableau annonce le nouveau style plastique qu’en 1949 Jour de fête mettra en relief. Pierre Courthion a décrit minutieusement De la danse : « La palette va des gris les plus fraîchement argentés aux noirs les plus profonds, avec des blancs laiteux qui donnent au tableau son regard : de l'or vieux de la fibule déterrée au brun rosé aperçu sur un toit [...] »

Avec Jour de fête (79x100 cm) justement, de Staël se livre à une intense expérimentation sur la couleur. Les lignes, insérées les unes aux autres, vont à présent se désagréger en d’amples aplats, les couleurs se clarifiant. Un style plastique inexploré se dévoile où « l’enduit se fait plus dense et la couleur plus délicate. » (A. Chastel, G. Viatte, J. Dubourg, op. cité) L’année de Jour de fête est décisive. Staël abandonne, à vrai dire, les compositions surchargées en bâtonnets pour des formes plus aérées où la couleur se libère en larges surfaces. Le peintre n’hésite d’ailleurs pas à agglomérer des couches de pâte afin d’atteindre l’équilibre souhaité. En deuxième lieu, son œuvre est désormais publiquement reconnue. Staël participe à de multiples expositions : Musée des Beau-Arts de Lyon, galerie Jeanne Bucher à Paris... Mais aussi à Sao Paulo au Brésil, à Toronto au Canada et bientôt aux États-Unis. En mars 1950, le Musée national d’Art moderne (Paris) lui achète Composition [Les pinceaux] (huile sur toile, 162,5x114 cm). Il demande cependant qu’on accroche son tableau à part, séparé du groupe des abstraits. Il rend grâce à Bernard Dorival, le conservateur du musée, non sans quelque humour : « Merci, lui écrit-il, de m’avoir écarté du gang de l’abstraction avant », référence gouailleuse à une bande de malfrats français de l’après-guerre dirigé par Pierre Loutrel alias Pierrot le Fou. En France, l’éditeur Christian Zervos, fondateur de la revue Cahiers d’art, lui consacre un très grand article où il compare l'artiste aux grandes figures de l'histoire de l'art. L'exposition personnelle qui lui est consacrée chez Dubourg du 1er au 15 juin obtient un succès d'estime et le fait connaître des personnalités du monde des arts. En octobre, lorsque Jean Leymarie tente d'acheter la toile Rue Gauguet pour le musée de Grenoble, il se trouve face à la Tate Gallery qui la lui dispute. Le tableau sera finalement acquis par le musée des Arts de Boston.
Les tableaux de l’artiste commencent à entrer dans les collections américaines. Le critique Thomas B. Hess écrit contradictoirement dans la revue Art News : « Staël jouit d'une réputation un peu underground en Amérique, où il vend une quantité étonnante de peintures, mais il reste relativement peu connu. » Ceci dit, le travail de promotion du peintre et marchand d’art américain Theodore William Schempp commence à porter ses fruits. L'atelier de l'artiste se vide de ses peintures. En 1951, Staël entre au Museum Modern Art de New York avec une toile de la période sombre : Peinture 1947 huile sur toile 195,6 × 97,5 cm.
Une exposition de ses dessins chez Dubourg, en mai 1951, révèle aussi une autre facette du talent de l'artiste que l’autre géant, le poète René Char admire. C'est Georges Duthuit, historien d’art, qui a fait découvrir l'atelier de Staël au poète. Ils conçoivent ensemble plusieurs projets de livres dont l'un illustré de gravures sur bois , Poèmes de René Char - bois de Nicolas de Staël, publié cette année-là. Le livre obtient un succès relatif lors de l'exposition à la galerie Dubourg le 12 décembre. Le peintre ne se décourage pas qui poursuit un travail commencé à l'automne : des petits formats. Ces tableaux sont essentiellement des natures mortes, des pommes : Trois pommes en gris, Une pomme (24 X35 cm) et une série de trois toiles de Petites bouteilles, cette dizaine de toiles témoigne de la nouvelle maturité du peintre qui, après avoir étudié un livre sur Van Gogh s'écrie : « Moi aussi, je ferai des fleurs! » Des Fleurs aux couleurs éclatantes qui jaillissent sur un grand format (140 × 97 cm) dès l'année suivante, après avoir vu une exposition où figurent les Roses blanches de Van Gogh au musée de l’Orangerie.

Les années 1952 et 53 offrent, dans l’œuvre de Staël, le théâtre d’un «renouvellement continu ». La créativité du peintre ne se dément pas : 240 tableaux pour la seule année 1952 ; l’artiste alterne entre nature morte et paysages - ceux d’Île-de-France et de Provence -, scènes de football, ce qui est plus inattendu. Mais l’exposition londonienne de la Matthiesen Gallery - une franche déception - l’installe dans le doute. La critique anglo-saxonne, exceptés John Russell et Denys Sutton, ne comprennent guère l’art du peintre. Il travaille alors à de petits formats dans les tons gris et verts inspirés par la région Île-de-France. Cette année-là, il offre au Musée d’art moderne de Paris son tableau, Les Toits (huile sur isorel, 150x200 cm). Peu prisé à Londres, celui-ci occasionne chez son créateur une sévère autocritique : « trop de jeté, pas assez de travail spéculatif », confie-t-il à Pierre Lecuire. À propos de ce grand format, André Fermigier écrit dans Le Nouvel Observateur N° 403 de 1972, page 34 : « … après les petites toiles précieuses, miniatures, havre de grâce, (...) Staël aboutit à la synthèse monumentale des Toits de Paris, année où le peintre franchit le rubicon et, faisant fi du terrorisme abstrait qui régnait à l'époque dans les milieux d'avant-garde, il attire à lui d'un geste souverain toute la diversité mouvante du réel. » Un événement va provoquer, en mars 1952, un enthousiasme créateur imprévu : le football et, en particulier, le match opposant l’équipe de France à celle de la Suède. Le peintre sort du Parc des Princes métamorphosé, hypnotisé par les couleurs qu'il veut immédiatement traduire sur la toile. Il y passe la nuit, initiant une série d’ébauches qui vont devenir Les Footballeurs, sujet qu'il traite avec de très vives couleurs dans plus d'une dizaine de tableaux qui vont du petit au grand format, des huiles sur toile ou huiles sur carton dont un exemplaire se trouve à la Fondation Gianadda, un plus grand nombre au Musée des Beaux-Arts de Dijon, un exemplaire au Musée d’Art contemporain de Los Angeles et beaucoup dans des collections privées. Staël déploie sa passion des couleurs et du mouvement. L’épicentre de son travail, sur lequel il passe la nuit entière pour les ébauches des footballeurs, apparaît au bout d'une semaine : Le Parc des Princes, une toile tendue sur châssis de 200 × 350 cm (7 m2). Il utilise des spatules très larges pour étaler la peinture et un morceau de tôle de 50 cm qui lui sert à maçonner les couleurs.
Lorsqu'il expose son Parc des Princes au Salon de mai de la même année, le tableau est très mal ressenti par ses confrères autant que par la critique. Le Parc apparaît comme un manifeste du figuratif qui a contre lui tous les partisans de l'abstraction. Staël est déclaré coupable d'avoir abandonné ses recherches abstraites, il est traité de « contrevenant politique » selon l'expression de son confrère André Lhote. Nicolas de Staël répondra à cette objurgation ainsi : « Je n'oppose pas la peinture abstraite à la peinture figurative. Une peinture devrait être à la fois abstraite et figurative. Abstraite en tant que mur, figurative en tant que représentation d'un espace. »

Le galeriste new-yorkais Paul Rosenberg, très fasciné par cette toile, va imposer Staël aux États-Unis dès l'année suivante et lui proposer un contrat d'exclusivité après avoir vu l'exposition du 10 au 28 mars 1953 à New York chez Knoedler, où Staël a connu un succès retentissant. Paul Rosenberg est un galeriste de référence auxquels les amateurs font confiance. Il vend les grands maîtres : Géricault, Delacroix, Matisse, Braque. Nicolas de Staël accueille donc cet événement avec bonheur.
Mais la vie à New York lui est difficile. Le 13 mars, il revient à Paris, au moment où paraît le livre de Pierre Lecuire, Voir Nicolas de Staël, avec une lithographie en couverture et deux gravures de Staël.
Quelques mois plus tard, Staël trouve une nouvelle source d'inspiration dans la musique. Alors qu'il est invité le 5 mai à un concert chez Suzanne Tézenas, à la fois héritière et mondaine, le peintre découvre les « couleurs des sons » : après avoir entendu Pierre Boulez, Messiaen, Albeniz, il s'intéresse à la musique contemporaine et au jazz. En particulier à Sidney Bechet auquel il rend hommage avec deux toiles : Les Musiciens, souvenir de Sidney Bechet dont une version se trouve au Centre Pompidou, à Paris, l'autre version, intitulée Street Musicians, à la Phillips Collection de Washington. De cette période d'inspiration musicale naîtront également L’Orchestre. Il envisage même un ballet avec René Char : L'Abominable des neiges, ainsi qu'une toile inspirée par la reprise à l'Opéra de Paris de l'opéra-ballet de Jean-Philippe Rameau, Les Indes galantes que le peintre intitulera de la même façon, une huile sur toile de 161 × 114 cm (collection particulière) peinte en 1952-1953. Les couleurs du Midi lui manquent cependant terriblement. Il loue pendant un mois une magnanerie près d'Avignon, à Lagnes, où les couleurs de sa palette vont devenir éclatantes. Puis il met toute sa famille dans sa camionnette et l'emmène en Italie : en Toscane, puis en Sicile, sujet de ses plus célèbres toiles.
Peu après, Staël achète une maison dans le Luberon à Ménerbes, le Castelet. Il y peint entre autres plusieurs toiles intitulées Ménerbes dont une version d'un format de 60 × 81 cm se trouve au musée Fabre de Montpellier. Il continue à fournir inlassablement Rosenberg qui affirme dans un journal américain qu'il considère Staël comme une des valeurs les plus sûres de son époque, Le marchand d'art prépare une exposition : Recent Paintings by Nicolas de Staël qui aura lieu dans sa galerie en 1954 ; celle-ci aura un triomphe. Rosenberg va commercialiser énormément de Staël aux États-Unis. La majorité de ses toiles couvrant la période 1953-1955 ont été vendus à New York soit par ce dernier, soit par Schempp. Le peintre lui fournit les œuvres qu’il a réalisées au Luberon, à Lagnes, en Italie. Il ne cesse de travailler, au point que le galeriste est contraint de le freiner. Ce à quoi, Nicolas de Staël rétorque qu’il n’écoute que son cœur et qu’il peint par nécessité. Il revient à l’été 1954 à Paris, il y peint natures mortes, paysages, bouquets de fleurs, puis il séjourne dans la Manche : Cap Gris-Nez, Cap Blanc-Nez, témoignages de ce passage. L’artiste est alors possédé par une fiévreuse passion sentimentale. Certes, il y aura Suzanne Tézenas, l’ancienne amie de Pierre Drieu la Rochelle, dont le salon ne désemplit jamais, mais ce sera surtout Jeanne Polgue-Mathieu qu’il a emmenée, avec sa famille et Ciska Grillet, au cours du mois d’août 1953 dans son périple italien et qui déchaînera en lui des états d’âme imprévisibles. Ce nouvel amour le dévore. À dire vrai, Nicolas aime plus qu’il n’est aimé. Son désespoir est immense. Quoi qu’il en soit, il peint frénétiquement. « Je peins dix fois trop, comme on écrase du raisin et non comme on boit du vin », dira-t-il à Pierre Lecuire. Entre février et mars 1955, il réalise 350 toiles ! Cette Jeanne tant aimé, il la campe de mémoire dans Jeanne (nu debout) (146 × 97 cm), 1953, tableau postdaté et intitulé en 1954, Nu Jeanne (nu debout), une silhouette vaporeuse, émergeant d'une brume de couleurs tendres. C'est également Jeanne Mathieu qui a servi de modèle au Nu couché (Nu) (1954), tableau qui a été vendu en décembre 2011 pour la somme de 7,03 millions d'euros. Le nu apparaît donc comme un thème majeur chez de Staël, mais il s’affirme plus nettement à l’instant où il éprouve une violente passion pour une femme. Il écrit à René Char depuis Antibes (admirer son tableau Paysage, Antibes de 1955) : « Je suis devenu un fantôme qui peint des temples grecs et un nu si adorablement obsédant, sans modèle, qu’il se répète et finit par se brouiller de larmes. » Il affirmait quand même, s’adressant à Jacques Dubourg, en 1954 : « Je vais essayer des figures, nus, portraits et groupes de personnages. Il faut y aller quand même, que voulez-vous, c'est le moment, je ne peux peindre des kilomètres de natures mortes et paysages, ça ne suffit pas. »
Le séjour en Espagne avec Pierre Lecuire lui permet de mettre provisoirement entre parenthèses les idées noires. Il s’extasie autour des merveilles du Prado. Mais, revenu en France, la solitude le broie... et ce besoin furieux de peindre pour ne pas se perdre. Il est néanmoins meurtri par l’incompréhension dont son œuvre souffre. Et, enfin Jeanne le consume entièrement. « J’ai besoin de cette fille pour m’abîmer », confesse-t-il à Herta Hausmann, l’amie de Jeanne. Début 1955, il trime toujours dans l’énergie et la fureur. Cependant, il écrit à Dubourg, le fidèle compagnon d’une vie : « Je n’ai pas la force de parachever mes tableaux. Merci de tout cœur de tout ce que vous avez fait pour moi ».
Le 15 mars en effet, Staël réunit toutes les lettres de Jeanne et les rend à son mari en lui disant : « Vous avez gagné ».
Le 16 mars, après avoir tenté la veille d'ingurgiter des barbituriques, le peintre sort de son atelier, pénètre dans l'escalier qui conduit à la terrasse de l'immeuble, et se jette dans le vide. C'est à sa fille, Anne de Staël, que le peintre a écrit sa dernière lettre. Anne avait alors 13 ans.
« Je sais que ma vie sera un continuel voyage sur une mer incertaine », disait l’artiste.

MS



• Tableaux représentés

- Portrait de Jeannine 1941 - 1942 81x60 collection particulière
- La Vie dure 1946 142x161 Centre Pompidou
- Jour de fête 1949 100x173 cm Galerie Jeanne Bucher
- Les Toits 1952 200x150 cm Musée national d’Art moderne, Paris
- Le Parc des Princes 1952 200x350 cm, collection particulière
- Les Musiciens, souvenir de Sidney Bechet 1953 162x114 cm Musée d’Art moderne, Paris
- Nu couché (Nu) 1954 97x146,5 cm Collection particulière
- Sicile, vue d’Agrigente 1954 114x146 cm Musée de Grenoble
- Paysage, Antibes 1955 116x89 cm Musée André-Malraux

 

Références : ouvrages cités 

 

André Chastel, Germain Viatte, Jacques Dubourg, François de Staël, Nicolas de Staël, Le Temps, 1968.

Henri Maldiney, introduction à Jean-Louis Prat et Harry Bellet, Nicolas de Staël 1945-55, catalogue de l’exposition à la fondation Pierre-Giannada, 2010.

Anne de Staël, Staël, du trait à la couleur, Imprimerie Nationale, Paris, 2001.

Jean-Paul Ameline, Alfred Pacquement, Bénédicte Ajac, catalogue de l’exposition Nicolas de Staël, 12/18 juin 2003, Centre Georges-Pompidou, Paris.

Daniel Dobbels, Staël, Hazan, Paris, 1994

Laurent Greilsamer, Le Prince foudroyé, la vie de Nicolas de Staël, Fayard, Paris, 2001.

Françoise de Staël. Catalogue raisonné de l’œuvre peint, Neuchâtel, Ides et Calendes, 1997.