Écran : Sorties 2024

 

 

¬ Moi, capitaine (Io capitano, 2023 - Matteo Garrone)

 
 
 Actuellement en salle, le film poignant de l’Italien Matteo Garrone (”Gomorra”, “Dogman”) retrace le parcours de deux adolescents sénégalais assoiffés d’aventure et d’Europe. Sans que jamais ne soit employé le terme de « migrant ».
L’hebdomadaire “Courrier International” qui est partenaire du film en rend compte dans sa livraison du 4 janvier 2024 :
- Sénégal, Mali, Niger, Libye, et la Méditerranée. C’est l’une des routes de la migration vers l’Europe évoquée dans l’actualité mais rarement portée sur grand écran comme le fait Matteo Garrone (note personnelle : on se rappellera que le cinéaste romain intégrait, dès son premier long métrage en 1996, le thème de l’immigration avec “Terra di mezzo”). Dans Io capitano (durée : 121 minutes), distribué en France le 3 janvier, le réalisateur met en scène étape par étape, épreuve par épreuve, l’odyssée migratoire de Seydou et Moussa, deux cousins sénégalais de 16 ans, férus de rap et pleins de rêves de célébrité.
- Garrone « a réussi à faire un film pratiquement impossible : raconter une histoire d’actualité - ressassée à l’envi par l’incessante couverture médiatique - pour en faire un archétype », salue “L’Essenziale”. Le cinéaste évite les écueils du spectaculaire et du cliché, alors même « que les films sur l’immigration peuvent être très mauvais : paternalistes, dénués d’authenticité ou condescendants », développe l’hebdomadaire italien.
- Un enthousiasme partagé par la grande majorité de la critique transalpine où le film est sorti le 7 septembre, un an après l’arrivée au pouvoir de Mme Georgia Meloni. Garrone avait auparavant, en août, été couronné du Lion d’argent du meilleur réalisateur lors de la Mostra de Venise, et son acteur principal, le Sénégalais Seydou Sarr, du prix du meilleur jeune espoir.
- Il faut dire que le jeune homme incarne avec brio son homonyme de fiction dans ce récit initiatique qui s’attache à montrer les horreurs et les souffrances du périple entrepris par les deux jeunes, autant que l’humanité et la résilience dont ils font preuve lorsqu’ils se retrouvent aux prises avec la violence des frontières. Bien avant d’atteindre les rives de la Méditerranée, Seydou et Moussa devront traverser des paysages inhospitaliers et se défendre contre quantité de passeurs tout aussi impitoyables.
- Tout commence à Dakar. Malgré l’interdiction de sa mère, Seydou prend le chemin de l’Europe, sur l’insistance de Moussa (incarné par Moussa Fall). S’élançant dans un voyage dont ils n’imaginent pas les périls, les deux cousins partent « en secret et finissent par se perdre » à travers déserts et mer, au péril de leur vie, résume “L’Essenziale”.
- Pour le quotidien de gauche “Il Manifesto”, le parcours de Seydou rappelle celui de Pinocchio, autre héros porté à l’écran par Matteo Garrone, en 2019. Comme Pinocchio dans le ventre de la baleine, « il n’a d’autre choix que d’apprendre à se débrouiller tout seul, de trouver des stratégies de survie et de surmonter jusqu’à la solitude et la peur ». Ainsi, “Moi, capitaine” peut « s’envisager comme un roman d’apprentissage moderne, construit sur la confrontation à la réalité de notre monde, dont le réalisateur prend des fragments qu’il mélange dans un style fantastique pour tisser une intrigue du réel. »
- Inspiré de témoignages authentiques, le film a nécessité deux ans de préparation et de documentation. Il a été tourné presque entièrement en wolof entre le Sénégal, l’Italie et le Maroc, avec l’aide d’interprètes. Certaines scènes sont quelque peu attendues. Reste que le cinéaste réussit sur le fil le périlleux pari de ne pas verser dans le pathos, en se maintenant au plus près de la réalité - sans se priver d’un brin d’onirisme sur certaines séquences - et en s’inscrivant ainsi dans la tradition du cinéma néoréaliste, amorcée par Roberto Rossellini (1906-1977), souligne “L’Essenziale”.
- Le pari est d’autant plus complexe que « le sujet est délicat et prêterait à la rhétorique ou à la banalisation. Et pour Garrone, le risque était d’autant plus élevé qu’il a choisi de se positionner sur l’autre rive de la Méditerranée, dans cet espace qui demeure généralement “hors champ” » pour les Européens, note “Il Manifesto”. Appréciant de vivre ce périple à travers le regard de Seydou uniquement, sans nul point de vue occidental, le journal souligne que « nous n’entendons jamais le mot “migrants” prononcé par un policier ou un militant, ou par un quelconque citoyen européen. »
- Moins enthousiaste, “Il Panorama” estime que le film reste « à des années lumière des meilleures œuvres du réalisateur romain » et d’un film comme “Gomorra” (2008). Le regard porté sur une tragédie plus que jamais d’actualité « nous laisse un peu froids » et « s’arrête un peu trop à la surface de situations bien plus complexes », estime la publication.
- Pour le quotidien “Il Foglio”, il s’agit pourtant d’une œuvre nécessaire à portée éducative. « Matteo Garrone a pris des risques, a étudié son sujet, a tourné un film qui devrait être montré dans toutes les écoles et à tous les niveaux, ainsi qu’aux politiciens et à tous ceux qui affirment que les pauvres gens sur leurs barcasses n’arrivent pas ici parce qu’ils ont faim, mais pour voler le travail (très mal payé au demeurant) et les femmes des “vrais italiens”. »
- Seydou n’est pas dépeint comme une victime, mais comme un battant « qui ne cède pas au cynisme » et dont le combat « devrait, aujourd’hui plus que jamais, être aussi le nôtre », appuie “Il Manifesto”. [...] en donnant corps et voix aux destins de deux adolescents « qui ne sont pas des victimes », c’est-à-dire qu’ils ne fuient pas une guerre, des persécutions ou encore un contexte économique précaire. « Ils s’en remettent plus ou moins consciemment à l’instinct d’aventure et de curiosité du monde propre à leur âge. » (”Il Manifesto”).
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- Courrier International, n° 1731 du 4 au 10 janvier.
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.. Journaux cités.

- “L’Essenziale” : lancé fin 2021 par des journalistes d’Internazionale, un hebdomadaire similaire à “Courrier International”. Il traite de l’actualité italienne et sort chaque samedi. D’orientation progressiste.

- “Il Manifesto”. À l’origine un périodique mensuel fondé en 1969 par un courant dissident de l’ex-PCI. Le journal se revendique encore communiste, mais de façon indépendante.

- “Il Panorama”. Magazine hebdomadaire de centre-droit. Créé en 1962 sur le modèle du “Time” par Mondadori, puis contrôlé par Berlusconi.

- “Il Foglio (Quotidiano)”. Fondé en 1996 par le journaliste et homme politique Giuliano Ferrara sur le modèle du “Wall Street Journal”. Ses idées sont plutôt conservatrices.

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