Operai : Delitto d'amore
►Delitto d’amore
Un vrai crime d’amour, 1974 –
Luigi Comencini
https://www.arte.tv/fr/videos/113768-000-A/un-vrai-crime-d-amour
Un vrai crime d’amour mêle sans complexe le mélodrame [note : assumé pleinement à travers la chanson A curuna de Otello Profazio superbement interprétée par Rosa Balistreri] à la dénonciation politique autour d’une histoire d’amour entre deux ouvriers, une Sicilienne et un Milanais, doublement contrariée par leur antagonisme culturel et leur condition de prolétaire. Œuvre maladroite et attachante à la fois, écrite en collaboration avec Ugo Pirro, le scénariste habituel d’Elio Petri (La classe ouvrière va au paradis), elle trouve sa principale limite dans une forme de manichéisme politique propre à un certain cinéma engagé des années 1970. […]
Toutefois, il est difficile de ne pas voir combien ces défauts sont également partie prenante (voire même à l’origine) de la force émotionnelle qui imprègne ce film. Un vrai crime d’amour emporte l’adhésion par son lyrisme désuet, particulièrement sensible dans le jeu des deux comédiens principaux […] ainsi que par certains de ses partis-pris formels. L’histoire d’amour qui lie le destin tragique de ce couple est rendue émouvante par l’insistance du découpage, de la musique (Carlo Rustichelli) et du cadrage (photographie : Luigi Kuveiller, également opérateur pour Petri dans Enquête sur un citoyen… et La Classe ouvrière…) à en souligner le caractère dramatique. La présence de ce dernier à la caméra, explique pour partie ce caractère formaliste assez inattendu chez Comencini, et qui se traduit à l’écran par des plans extrêmement composés, un mélange de sécheresse dans les mouvements de caméra et de langueur dans les gros plans. Cette recherche plastique qui se retrouve dans le montage – le générique décrivant les différentes étapes de production au sein de l’usine ; ou encore la superbe séquence de parcours en voiture off lors du transfert de Stefania Sandrelli – produit sur le spectateur un sentiment d’angoisse, d’enfermement mêlé de désespoir qui constitue la singularité de ce film seulement comparable, au sein de l’œuvre du réalisateur de L’Incompris, à l’étrange giallo sentimental Senza sapere niente di lei (Sans rien savoir d’elle) [note : avec l’excellent Philippe Leroy et Paola Pitagora, film inédit en France]. »
[Mathias Sabourdin in : Dictionnaire du cinéma italien]
- ▪▪ Le réalisateur s’exprime :
« Il me semble important de représenter ce que le mépris de la nature détruit, plus que les raisons de ce mépris. Dans mon film, ce qui est détruit par ce mépris, c’est l’amour de Carmela et de Nullo, c’est-à-dire la vie. Et si le film arrive à communiquer au spectateur un peu de douleur devant cette destruction, et un peu de rage pour ce mépris, je crois qu’il aura atteint son but. » (U. Pirro, L. Comencini : Delitto d’amore, Milan, Vangelista editore, 1974)
« On m’a demandé, une fois, si je préférais les héros vainqueurs ou au contraire les perdants. Spontanément, j’ai répondu que m’intéressais davantage aux perdants. Et c’est un choix profond. S’intéresser à un échec, c’est examiner les circonstances qui l’ont déterminé. Mes films sont constitués de petites choses. Les grandes sont réservées aux vainqueurs. Cette prédilection que j’ai pour le détail vrai dérive de mon goût pour le regard des humbles sur la réalité. Les photographies que j’ai faites sont toutes des documents d’observation sur la vie des banlieues, des campagnes, des personnages humbles : jamais je n’ai photographié d’événements historiques importants, de défilés, de chefs, de chefs d’Etat ou de leaders politiques, ou même de belles femmes. […] »
(Luigi Comencini à Aldo Tassone, Le cinéma italien parle, Edilig)
≈ J’ajouterai ici que Luigi Comencini a toujours été un peintre délicat des problèmes de l’enfance et de la jeunesse, dès son premier film : Proibito rubare en 1948 puis avec Heidi (1952), La finestra sul Luna Park (1956), L’Incompris (1966), Les Aventures de Pinocchio (1972), Eugenio (1980), Un ragazza di Calabria (1987)…. Il a d’ailleurs préféré décrire un Casanova adolescent : Casanova, un adolescent à Venise (1969).
Il a également été sensible aux figures féminines et à leurs souffrances : Volets clos (1951) avec Eleonora Rossi Drago et Giulietta Masina ; La Traite des blanches (1952), à nouveau avec la Rossi Drago ; La ragazza di Bube (1963) avec Claudia Cardinale… Luigi Comencini dit, par exemple, qu’il retrouvait avec Un vrai crime d’amour un thème qui lui était cher : « la supériorité de la femme du peuple sur l’homme, même si celui-ci a l’air plus solide et plus fort. »
Dans ce film, il y a aussi et très nettement une préoccupation d’ordre écologique. « Ceux qui m’accusaient d’avoir exagéré la catastrophe écologique ont été servis », dira Comencini. En effet…
MS
Liminaire
Nullo Bronzi et Carmela Santoro, ouvriers dans une société industrielle milanaise, s'aiment. Lui, militant syndical et politique, elle, issue de la Sicile, croyante et soumise à l'autorité patriarcale. Leur hymen paraît fatalement voué à l'échec. Leur environnement est en outre dangereusement contaminé par l'usine...
Delitto d'amore (Un vrai crime d'amour). Italie, 96 minutes. Réalisation : Luigi Comencini. Scénario : L. Comencini et Ugo Pirro. Direction artistique et costumes : Paola Comencini. Décors : Dante Ferretti. Photographie : Luigi Kuveiller [Technochrome] Son : Mario Amari. Montage : Nino Baragli. Musique : Carlo Rustichelli - chanson A curuna interprétée par Rosa Balistreri. Direction de production : Luigi Anastasi. Producteur exécutif : Renato Jaboni. Sociétés de production : Documento Film, Gianni Hecht Lucari. Interprétation : Giuliano Gemma (Nullo), Stefania Sandrelli (Carmela), Brizio Montinaro (Pasquale), Renato Scarpa (le docteur), Cesira Abbiati (Adalgisa), Rina Franchetti (la maman de Nullo), Emilio Bonucci (le frère de Nullo), Pino Starnazza (le jardinier). Sortie en Italie : 27 avril 1974.