Les Amants (1958, France - Louis Malle)

 

 

Amants (Les) [1958 - France, 88 minutes. N&B]. Réalisation : Louis Malle. Scénario et dialogues : L. Malle et Louise de Vilmorin (libre adaptation de Point de lendemain de Dominique Vivant Denon). Assistants réalisateurs : François Leterrier et Alain Cavalier. Photographie : Henri Decae. Montage : Leonide Azar. Direction artistique : Bernard Evein, Jacques Saulnier. Son : Pierre Bertrand. Musique : Sextuor n° 1 de Johannes Brahms. Production : Jean Thuillier – Nouvelles Éditions de Films. Interprétation : Jeanne Moreau (Jeanne Tournier), Alain Cuny (Henri Tournier), Jean-Marc Bory (Bernard), Judith Magre (Maggy Thiébaut Leroy), José Luis de Villalonga (Raoul), Gaston Modot, Michèle Girardon, Claude Mansart, Georgette Lobbe, Patricia Garcin. Prix spécial du Jury du Festival de Venise 1958.

 

- Voir film sur Arte Cinéma: https://www.youtube.com/watch?v=OkQ5Rc3IcEM

 

~ L'amour, ce sentiment si galvaudé et trop souvent insulté, trouve ici sa juste récompense. Et parce qu'ici le miracle opère, celui de deux êtres qui ne s'aiment que pour s'aimer, il est moral d'en faire l'éloge. C'est de liberté dont nous entretient Louis Malle. Et la liberté reste, de nos jours, une idée sacrilège. Aussi, Louis Malle, en apparence si classique, est entré dans le scandale. Dès lors, le scandale ne cessera plus. En Italie, l'organe du Vatican, l'Osservatore romano, condamna le film. En France, les autorités ecclésiastiques en firent de même. Certes, on y voit Jeanne Moreau épanchant, sans nulle parodie, la sensation de plaisir érotique. Mais ce qui déchaîna, plus encore, la colère des censeurs et d'une certaine société, c'est le fait qu'une femme osât tout quitter pour une seule et unique raison : la découverte de l'orgasme dans les bras d'un homme rencontré, par hasard – son automobile étant tombée en panne –, sur une route entre Dijon et Paris. L'amour, enfin vécu, pure poésie pour les amants, devenait, à cet instant-là, pure hérésie pour tant d'autres. Il eût mieux valu, à leurs yeux incrédules, que Jeanne continuât de le croire chimérique, accordant, ici ou là, quelque agrément à de médiocres marivaudages. « […] Je tiens Les Amants pour l’un des films les plus moraux de cette époque qui se veut affranchie des « tabous » du sexe, mais qui ne manifeste son indépendance que par la grivoiserie, et une attitude de « pornographie amateur ». Dès l’ouverture, c’est, en effet, un film de contestation, une œuvre qui libère. Une indication précieuse : au générique, la Carte du Tendre. Cette référence au XVIIe siècle n’est pas une coquetterie littéraire de Malle, ni de Louise de Vilmorin. Elle a un sens. Qu’on se rappelle les romans galants de l’époque, et les lettres de Mlle de Scudéry. Pour les contemporains du XVIIe siècle, l’amour était un acte libre parfois à la limite de l’héroïsme. Ce n’était pas le mariage, ni les institutions bourgeoises qui constituaient à l’époque une barrière entre les amants, mais plutôt l’observance de certains rites magiques (une sorte « d’apprivoisement » de l’autre, étape par étape), et aussi un respect de soi (les exemples ne manquent pas et se multiplient jusqu’au milieu du XVIIIe siècle avec la présidente Tourvel, symbole même de la pureté triomphante). La mutation qui s’est accomplie depuis a seulement en apparence dépoétisé l’amour. Mais cette apparence a ceci de dangereux qu’elle peut dissimuler pour toute une vie à un être sensible cette Carte du Tendre, dont il devine l’existence, mais qu’il ne sait plus déchiffrer. Dans Les Amants, la révélation, pour Jeanne, c’est un peu la découverte de cette Carte du Tendre dont elle ne connaissait pas le maniement. La métamorphose de l’héroïne qui s’éveille à l’amour et comprend combien elle a été abusée par l’image « sociale » de l’idylle, c’est non seulement un morceau de bravoure d’un metteur en scène féru de psychologie, mais encore une grande leçon de sincérité », écrivait Henry Chapier autrefois. [In: H. Chapier : Louis Malle, Cinéma d’aujourd’hui, Éditions Seghers, 1964.]