Parthenope

 

¬ Parthenope

 

(2023, Paolo Sorrentino)

 
 
~ Paolo Sorrentino situait son premier LM dans le cadre de sa cité natale avec L’uomo in più (L’Homme en plus). Il avait tout juste dépassé la trentaine. Son film mettait surtout en parallèle deux destins d’hommes aux noms homonymes, mais très différents l’un de l’autre - un Antonio Pisapia, footballeur introverti et un Antonio Pisapia chanteur à succès extraverti. Qu’est-ce qui les réunissait désormais ? L’un et l’autre étaient à présent des has-been : l’un par malchance, une blessure grave, et l’autre à cause d’une sombre affaire de mœurs. Naples n’était alors qu’un arrière-fond. Le temps de réaliser sept films encore et Sorrentino renouait non seulement avec la Naples de son enfance, mais en dévoilait la tragédie qui lui était liée : celle de son adolescence meurtrie par la perte de ses deux parents dans un accident domestique. È stata la mano di Dio (La main de Dieu, 2021) - référence à un but marqué de la main par Diego Maradona - signait aussi le retour vers le monde du ballon rond qu’affectionne Sorrentino. Son héros, Fabietto Schisa (Filippo Scotti) éprouvera le besoin d’exorciser sa douleur en embrassant la carrière de réalisateur. C’est donc une œuvre à caractère autobiographique. Le dernier Sorrentino, à travers le prénom de l’héroïne, Parthenope (Celeste Dalla Porta), autant contemporaine que métaphorique, Parthenope triste et rayonnante tout à la fois, exprime l'hommage à Naples de façon plus manifeste, comme à l’actrice Stefania Sandrelli, Parthenope à l’âge de soixante-dix ans.
 
Extraits d’entretien avec le cinéaste pour « Positif » (n° 769, mars 2025).
 
Q. Avec La Main de Dieu et Parthenope, vous avez choisi de retrouver votre ville de Naples, et d’en aborder les mythes (le miracle de San Gennaro), les paysages, les contradictions, de façon frontale.
 
P.S. La Main de Dieu n’est pas à proprement parler un film sur Naples. C’est un film qui se passe à Naples, car je vivais à Naples à l’époque des événements que je raconte. Mais le rapport à la ville est celui d’un simple cadre réaliste. J’avais en effet envie de traiter Naples à la fois du point de vue réel et dans une dimension plus imaginaire, et cette envie de réinventer la ville d’un point de vue fictif s’est matérialisée dans Parthenope.
 
 
Q. La cadre réaliste se retrouve tout de même dans Parthenope qu’il s’agisse des ruelles du centre historique ou du grandiose golfe de Naples et ses îles.
 
P.S. Oui, bien sûr, je voulais lier les deux : la vie réelle est présente, mais une part est fantasmée. La réalité peut, au cinéma, devenir fictive : le cinéma est divertissant lorsqu’il sait transformer la réalité en matériau imaginaire ; mais le point de départ doit toujours être le cadre réel, sinon, le spectateur perd de vue ce jeu avec la réalité.
 
 
Q. En voyant Parthenope, je me suis souvenu de votre premier film, L’uomo in più, qui racontait l’histoire parallèle de deux hommes. Parthenope est en quelque sorte le récit de deux femmes qui partagent une même identité : la vraie Parthenope qui étudie l’anthropologie et devient professeure et l’autre, plus plus irréelle, allégorique, insaisissable.
 
P. S. Je ne suis pas certain qu’il y en ait deux. C’est l’histoire d’une femme qui traverse soixante-dix années de vie. En ce sens, on pourrait dire qu’elles sont trois ou quatre : chacun de nous, au cours d’une vie, traverse divers moments et expériences qui nous font devenir autres. Nos désirs, nos rêves, notre curiosité évoluent. Il y a un temps de la vie où l’on regarde uniquement le futur, un autre où l’on regarde davantage le passé, et un où l’on regarde dans les deux directions. Dans la mesure où le film s’étend à la longueur d’une vie, à l’intérieur de la vie de cette femme, il peut y avoir deux personnes ou quatre.
 
 
Q. La mélancolie et la mémoire sont au centre de nombre de vos films.
 
P.S C’est une thématique que je ressens intensément, et que j’aime raconter. Un sujet qui me touche : l’émotion dictée par la mélancolie de la jeunesse perdue, les années que l’on ne peut revivre, les occasions manquées... Cela fait partie de nos biographies.
 
 
Q. On retrouve cette idée très émouvante lorsque l’écrivain américain John Cheever (1912-1982) dit à Parthenope qu’il ne veut voler aucun instant de sa jeunesse. Comment avez-vous eu l’idée d’inclure ce personnage réel ? C’est un auteur qui a certes passé quelques mois en Italie, mais cet aspect de sa vie n’est pas très connu [note : Cheever arrive en Europe pour un voyage à l’automne 1956. Il traverse l’Atlantique sur un navire italien, le Conte Biancamano. Il débarque au Portugal, passe par l’Espagne et arrive en Italie. Il s’installe ensuite à Rome avec sa femme et ses deux enfants. À la fin février 1957, il raconte dans une lettre qu’il était à Naples pour faire ses adieux à des amis. Au moment de quitter Rome pour Naples, il se dit envahi par des sentiments de tristesse voire de morbidité.]
 
P. S. J’ai été très frappé par la lecture des journaux de John Cheever (joué par Gary Oldman). Ils sont féroces et mélancoliques. Il y raconte la difficulté de ses rapports à l’alcoolisme, à l’homosexualité, cette sensation d’emprisonnement qu’il ressentait, comme s’il ne vivait pas la vie qu’il aurait pu, ou souhaité, vivre. J’ai toujours pensé que cette figure pouvait entrer dans un film. C’est un auteur que j’aime, sur le plan humain, et littéraire.
 
 
Q. On peut y voir un rapport avec votre façon d’observer la société des années 1960 et la vanité de la classe moyenne supérieure. Il y a d’ailleurs un clin d’œil à The Swimmer dans votre façon de filmer des demeures exceptionnelles avec leurs piscines, à Posilippo ou à Capri.
 
P.S. Ce n’est pas une citation, ou alors c’est involontaire. Je n’ai pas essayé d’établir de rapport direct à l’œuvre de Cheever. Je me suis intéressé à sa figure d’homme privé. J’adore son œuvre mais le personnage ici est vraiment l’homme, et ce qu’il exprime sur la vie.
 
[Extrait d’un entretien avec Grégory Valens]
 
 

Parthenope. France, Italie. 2023. R. Sc. Paolo Sorrentino. Ph. Daria d’Antonio. Dir. art. Fabio Ferrara. Déc. Carmine Guarino. Cost. Anthony Vaccarello. Mont. Cristiano Travaglioli. Mus. Lele Marchitelli. Chanson : “Era già tutto previsto” (R. Cocciante). Prod. Celeste Dalla Porta (Parthenope), Stefania Sandrelli (Parthenope à 70 ans), Gary Oldman (John Cheever), Silvio Orlando (Devoto Marotta, le professeur d’anthropologie), Isabella Ferrari (Flora Malva), Luisa Ranieri (Greta Cool). Sortie en France : 12 mars 2025.

 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 
 

 

 

 
 
 
 
 

 

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