serie tv
► Esterno notte
(Italie, 2021 - Marco Bellocchio)
https://www.arte.tv/.../097481-001-A/esterno-notte-1-6/
- Série en six épisodes à partir du 8 mars sur Arte.tv- Et 15 et 16 mars à 20. 55 sur Arte
- - En 2003, le cinéaste Marco Bellocchio donnait avec “Buongiorno notte” un récit purement fictionnel de la séquestration d’Aldo Moro. Il y mettait en scène la libération imaginaire du leader de la Démocratie chrétienne par une brigadiste interprétée par Maya Sansa. Comme on le sait, la réalité fut autrement différente. Dans un entretien pour la revue « Télérama » (1e mars 2023), et, à l’occasion de la diffusion de la série « Esterno notte », Bellocchio s’explique : « J’étais persuadé qu’en vertu du « style italien » un compromis serait trouvé entre les brigadistes et le gouvernement. » Puis, il affirme que « comme le sont souvent les grandes tragédies, il n’a pas d’emblée ressenti une douleur. Celle-ci s’est élaborée au fil du temps. » « J’ai fini par comprendre, dit-il, la profondeur de la blessure causée par la mort d’Aldo Moro, dont je dirais qu’elle n’a pas encore cicatrisé. Ce drame a été le point de départ d’une lente destruction du système politique italien. Comme si cette phrase terrible qu’on a retrouvée dans ses lettres de captivité après sa disparition, « mon sang retombera sur vous », était devenue réalité. » Bellocchio met aussi en lumière un autre aspect de cette disparition : « Moro est une figure de père. C’est un homme complet et complexe. Avec sa mort, on assiste à l’écroulement d’une certaine manière de concevoir la politique : la probité et le dévouement. Quelques mois plus tard, avec le décès du pape, une page se tourne définitivement. […] La période est un tournant […] On sait, dès lors, que l’espoir de changer le monde s’évanouit. Enfin, l’image du père, c’est aussi celle d’un homme qui met en colère les enfants. Et les terroristes sont, en quelque sorte, les fils rebelles qui ne supportent plus ce surmoi et, à la fin, tuent le père. » (Entretien avec Baptiste Roux, « Positif », n°745, mars 2023).Vingt ans plus tard, le réalisateur d’« I pugni in tasca » revient donc sur ce drame. Mais, là où « Buongiorno notte » demeurait, pour l’essentiel, un huis-clos, celui de l’appartement occupé par les activistes des Brigades Rouges et leur otage, « Esterno notte » - le titre le suggère suffisamment – se déploie en une description à la fois plus dense et plus ample, résolument tourné vers l’extérieur. Déjà, à l’origine de « Buongiorno notte », Bellocchio souhaitait traiter le drame d’une manière externe, c’est-à-dire « vécue à travers une série d’autres personnages impliqués indirectement dans les événements » (In : Notes du cinéaste traduites pour « L’Avant-scène Cinéma », janvier 2021). Or, le projet ne pouvait se concevoir ni dans le cadre d’un tel film, ni à cette époque-là. En 2018, la célébration du 40e anniversaire de la mort d’Aldo Moro et les émissions et publications d’ouvrages qui lui seront consacrées relanceront l’intérêt du cinéaste. Surgit à ce moment-là « l’envie forte de raconter ce que je n’avais pas abordé dans « Buongiorno notte » et d’intégrer les protagonistes de cette tragédie italienne, qui est aussi une tragédie intime. […] concevoir une dramaturgie en forme de prisme », déclare le cinéaste. « En mettant moins l’accent sur l’idéologie et les confrontations d’opinions que sur les conflits intérieurs », lesquels étaient repérables chez la seule Chiara (Maya Sansa), fruit, par ailleurs, de l’imagination de Marco Bellocchio dans « Buongiorno notte ».
Quel regard porteront les jeunes sur ces temps-là ? Bellocchio émet un point de vue contrasté :« Les nouvelles générations sont toujours politisées et ont toujours la rage, mais avec d’autres préoccupations, d’autres objectifs que les étudiants d’extrême gauche des années de plomb ou du début des années 2000. Et le contexte politique a changé du tout au tout. En 2003, le clivage gauche-droite avait encore un sens sur le plan idéologique. Aujourd’hui, la confusion est telle que des militants d’extrême droite invoquent la figure d’un marxiste comme Pasolini pour dénoncer les mesures sanitaires anti-Covid, qui, selon eux, porteraient atteinte à la liberté démocratique ! La série a été accueillie avec une certaine stupéfaction par des téléspectateurs qui n’ont pas vécu cette époque. Des enfants demandaient à leur père : « Mais c’était vraiment ça, l’Italie ? »
Personnages et interprètes
Aldo MORO (Fabrizio Gifuni), Président du Conseil national de la Démocratie chrétienne (DC) au moment de son enlèvement, le 16 mars 1978 en plein Rome, par une colonne armée des Brigades rouges. Il était partisan d’une alliance avec les communistes, nommée « compromis historique ». Clairvoyant, il se rendait compte de l’usure des formules de centre-gauche. Il pensait que face, entre autres, aux menaces que constituaient les terrorismes d’extrême-droite et d’extrême-gauche, il devenait impératif d’associer, prudemment et progressivement, à l’exercice du pouvoir un Parti communiste soucieux de respecter la légalité. Moro était en route pour une session de la Chambre des députés à Montecitorio lorsqu’il a été enlevé via Fani tandis que ses cinq gardes du corps furent massacrés. Lors de cette session, les députés devaient discuter le vote de confiance au nouveau gouvernement qui, pour la première fois, recevait l’aval du Parti communiste. Ce devait être la première application de la vision stratégique qu’il partageait avec Enrico Berlinguer, le responsable du PCI. S’agissant du PCI, leurs dirigeants ne pouvaient pas ne pas enregistrer pourtant le désaveu d’une partie importante de leur électorat, surtout dans la jeunesse. À Bologne, fief communiste, un meeting contre la répression policière se tint au cours de l’année 1977 dans lequel les manifestants s’en prirent violemment au PCI.
Eleonora CHIAVARELLI/MORO (Margherita Buy), l’épouse d’Aldo Moro. Elle s’efforcera d’obtenir sa libération coûte que coûte, quitte à affronter durement certaines sommités du Parti démocrate-chrétien. - Le Pape PAUL VI (Toni Servillo), ami personnel d’Aldo Moro. Il semblera se dépenser sans compter pour faire libérer le leader de la DC. Cependant, dans son appel aux terroristes, le Pape exigeait une libération sans conditions. Dans une lettre à Eleonora, Aldo Moro écrira tout de même : « Le pape a fait bien peu ; peut-être en aura-t-il quelque remords. » [Lire l’ouvrage du juge Ferdinando Imposimato et de Sandro Provvisionato, « Doveva morire, chi ha ucciso Aldo Moro » (“Il devait mourir, qui a tué Aldo Moro”) dans lequel la veuve d’Aldo Moro dira : « Ceux qui étaient aux postes de commande voulaient l’éliminer. »]
Francesco COSSIGA (Fausto Russo Alesi), le ministre de l’Intérieur DC jusqu’au 11 mai 1978, date à laquelle il remet sa démission suite à l’assassinat d’Aldo Moro deux jours auparavant. Lorsque Moro est enlevé, il crée quasi simultanément deux comités de crise, l’un officiel et l’autre secret et restreint, pour tenter de résoudre la crise. Du côté du gouvernement dirigé par le fameux Giulio Andreotti (« Divo Giulio »), aucune négociation officielle n’est jamais envisagée avec les ravisseurs qui réclamaient en échange, rappelons-le, la libération de certains de leurs compagnons emprisonnés dont celle de Renato Curcio, l’un des fondateurs des BR. Aldo Moro écrit, quant à lui, deux lettres à Cossiga entre le 29 mars et le 5 avril de cette année-là.
Valerio MORUCCI (Gabriel Montesi), le chef de la colonne romaine des BR. Il effectue un long parcours militant au sein de « Potere Operaio » (« Pouvoir Ouvrier »), organisation marxiste d’extrême-gauche fondée par des hommes comme Raniero Panzieri, Mario Tronti et Toni Negri. Partisan d’une militarisation du mouvement, Morucci rejoint, à la suite de désaccords, les Brigades Rouges en septembre 1976. Il finit par sortir des BR, tout comme sa compagne Adriana Faranda, avec laquelle il rédige le « Memoriale Morucci », document répertoriant les auteurs de « l’opération Aldo Moro » et décrivant son déroulement.
Adriana FARANDA (Daniela Marra), une brigadiste compagne de l’activiste Valerio Morucci. Native de la province sicilienne de Messine et issue d’une riche famille bourgeoise – son père était avocat général à la cour de Messine -, elle étudie à l’université La Sapienza de Rome. Elle commence, comme son futur compagnon, dans les rangs de « Potere Operaio ». Elle a d’abord épousé en 1970 le responsable de cette organisation, Luigi Rosati. Elle en aura une fille qu’elle appellera Alexandra, en hommage à la révolutionnaire marxiste russe Alexandra Kollontaï. Elle intègre les BR à la suite de différends idéologiques proches de ceux de son nouvel ami, Valerio Morucci. Elle en sort également avec lui. Ils tenteront de reformer une nouvelle organisation armée, le MCR (Mouvement Communiste Révolutionnaire). À l’instar de son compagnon, elle adopta, au moment de son arrestation, la condition de « dissociation », à savoir admettre ses propres responsabilités dans les faits qui lui sont imputés, en dehors de toute collaboration étroite avec les autorités et de pratiques de dénonciation à l’endroit de ses anciens complices. Marco Bellocchio lui fait tenir les propos suivants dans son œuvre : « Je ne tue pas la personne mais le symbole qu’elle incarne. » Le cinéaste s’en désolidarise avec horreur et juge qu’Adriana « est obsessionnellement pure dans son militantisme. Elle est d’une absolue rigidité, croyant du fond du cœur que le mouvement révolutionnaire peut changer la société italienne du tout au tout. Morucci n’y adhère pas pleinement. Il est dans une dimension plus anarchiste. C’est ainsi que s’explique sa colère face à lui. Elle se sent trompée. C’est une fanatique. » (In : Entretien cité pour « Positif »). Giulio ANDREOTTI (Fabrizio Contri), le Président du Conseil. Il se tient sur une ligne intransigeante, refusant toute négociation au motif qu’elle équivaudrait à une reconnaissance des BR par l’État. Dans ses mémoires, Aldo Moro critique sévèrement la politique d’Andreotti. L’historien Pierre Milza écrivit : « En abandonnant Moro à son sort, c’est le « compromis historique » que l’on porte en terre. » « Je crains, déclarait, pour sa part, l’ancien président de la République Giuseppe Saragat, qu’à côté du cadavre d’Aldo Moro, il n’y ait pas aussi celui de la première République, qui n’a pas su défendre la vie de l’homme politique le plus généreux de notre pays. »