... Ascenseur pour l’échafaud (1958. France - Louis Malle)
Le cinéma d’Arte
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Ascenseur pour l'échafaud [1958 - France, 91 min. N&B] R. Louis Malle. Sc. Malle, Roger Nimier d'après le roman éponyme de Noël Calef, publié en 1956. Assist. réal. Alain Cavalier, François Leterrier. Ph. Henri Decae, Jean Rabier. Mont. Léonide Azar. Dir. art. Rino Mondellini, Jean Mandaroux. Mus. Miles Davis. Son : Raymond Gauguier. Pr. Nouvelles Éditions de Films. I. Maurice Ronet (Julien Tavernier), Jeanne Moreau (Florence Carala), Georges Poujouly (Louis), Yori Bertin (Véronique), Lino Ventura (l'inspecteur Chérier), Ivan Petrovich (Horst Becker), Elga Andersen (Frau Becker), Jean Wall (Simon Carala), Charles Denner, Félix Marten, Hubert Deschamps. Tournage : 23 sept. au 15 novembre 1957. Prix Louis-Delluc 1957. Sortie en France : 29 janvier 1958.
~ Julien Tavernier, un ancien para des guerres coloniales, est amoureux de Florence, l'épouse du fabricant d'armes Carala. Ensemble, ils ont ourdi un crime contre ce dernier. Juste quelque temps avant le week-end, à la fermeture de la société, Julien entre dans le bureau de Carala et l'assassine, maquillant son meurtre de telle façon qu'on puisse conclure à un suicide. Mais il oublie de reprendre le crochet dont il s'est servi pour franchir la façade extérieure du bureau. Il lui faut donc le récupérer. Il se trouve malheureusement coincé dans l'ascenseur au moment de l'extinction des feux... Douze heures durant, il tente vainement de se libérer...
Ces longs moments passés dans l'ascenseur, où le héros (Maurice Ronet) cherche à trouver une issue à sa déveine, n'est pas sans rappeler, par sa manière de filmer, le Robert Bresson d'Un condamné à mort s'est échappé que Louis Malle admirait. François Leterrier, son protagoniste principal, figure d’ailleurs comme assistant. Toutefois, le film ne se résume pas à cela. Il y a aussi une forme de suspense à la Hitchcock. Et surtout le visage fascinant de Jeanne Moreau et sa voix intérieure - moins elle parle, plus elle est meilleure : sa diction péchant par artificialité. Cette voix intérieure atteint son point d'orgue dans la déambulation le long d'un Paris uniquement éclairé par les lumières des vitrines des Champs-Élysées. Cela ne s'était jamais produit. Ajoutez à ces éléments la photographie du grand Henri Decae, l'opérateur de Jean-Pierre Melville, René Clément, Claude Chabrol, François Truffaut et tant d'autres... et la trompette de l'immense Miles Davis et vous comprendrez la réussite et le succès de l'entreprise. De Jeanne Moreau, Louis Malle dira : « On s'est soudain rendu compte qu'elle pouvait être une star de cinéma». Personne dans l'équipe technique n'y croyait en effet. « Mais quand Ascenseur pour l'échafaud est sorti, les qualités intrinsèques de Jeanne Moreau sont apparues : elle pouvait être presque laide et puis, dix secondes après, elle tournait la tête et devenait d'une incroyable beauté. » En dernier lieu, à travers un clair désir d'émancipation - plus formel que thématique - d'avec le polar français traditionnel, on pouvait jauger Ascenseur pour l'échafaud comme le premier film historique de La Nouvelle Vague. Les œuvres suivantes du cinéaste montreront à contrario son indépendance totale à l'égard d'un tel courant.
~ Louis Malle et Paris... et avant Les Amants : Henry Chapier écrit
[...] Déjà dans Ascenseur pour l’échafaud commence la découverte d’une ville moderne, avec ce qu’elle contient de fascination et de souffrance. Et l’on pense plus d’une fois aux vers de Baudelaire :
Fourmillante cité, cité pleine de rêves,
Où le spectre en plein jour raccroche le passant !
Les mystères partout coulent comme des sèves
Dans les canaux étroits du colosse puissant.
Image de Paris qu’on retrouve, un peu différente et plus cruelle, dans Zazie dans le métro où les êtres « trottent tout pareil à des marionnettes » mais encore dans Le Feu follet : « N’allez surtout pas à Paris », conseillera le docteur à Alain, à la maison de santé. Dans Vie privée c’est la métropole en proie au mal du “star-system” et à la violence de la foule, dans Les Amants ce n’était que le “tourbillon mondain” de Paris.
Il me resterait encore à parler de cet autre phénomène propre à Louis Malle, auquel on est sensible dès ce premier film : la connivence du ton et des dialogues. Qu’il s’agisse des répliques désenchantées de Roger Nimier pour Ascenseur pour l’échafaud, de l’élégance de Louise de Vilmorin dans Les Amants ou de l’assimilation de l’humour de Raymond Queneau, il n’y a jamais fausse note : la parole est économe, elle ponctue le prolongement d’un monologue intérieur, même lorsqu’elle est en apparence un échange...
Et ce qui était vrai pour Ascenseur pour l’échafaud le sera pour les autres films : la prédilection de Malle pour les scènes muettes, son goût de la réserve, de la sobriété, de la litote. Les héros de Malle n’élèvent jamais la voix et ne connaissent pas d’éclats : dans cette œuvre, ce n’est pas sur la bande sonore qu’il faut aller chercher un cri... Ce parti pris de réserve, et cette manière élégante de souffrir rappellent bien plus La Princesse de Clèves que les mœurs de notre temps.
Il était donc normal qu’après le succès de Ascenseur pour l’échafaud, Louis Malle soit tenté par le sujet des sujets - l’amour, et qu’il tourne Les Amants.
- Henry Chapier (Edition Seghers, 1964)