Attrici italiane : Anna Magnani La carrozza d'oro
... Le Carrosse d’or (1952, Jean Renoir)
Rétrospective Anna Magnani à L'Institut Lumière
Dernière séance : Le Samedi 10 février 2024 à 15 h à l’Institut Lumière (Lyon)
Nous voici plongés dans le monde baroque. Camilla, la vedette d'une troupe de « commedia dell'arte », séduit le vice-roi d'un pays d'Amérique latine et Ramon le célèbre toréro. Dans la troupe, Felipe n'a d'yeux que pour elle. Mais qui va-t-elle aimer ? Felipe et Ramon se battent en duel, sans résultat. Le vice-roi espère bien l'emporter. Sa maîtresse et toute la cour n'apprécient guère l'étrangère. On rivalise aussi pour s'approprier un splendide carrosse d'or que le souverain à fait venir d'Italie. Ce carrosse, symbole de sa puissance, le vice-roi l'offre à Camilla, croyant du même coup s'assurer le cœur de la belle et départager les courtisans envieux. Tout au contraire, la révolte gronde au palais. C'est Camilla qui apportera une solution inattendue : elle donnera le carrosse d'or à l'évêque et reprendra sa place dans la troupe. Le théâtre est son unique amour. (In : Célia Bertin : Jean Renoir, biographie. Éditions du Rocher, 1994, rééd. 2005)
Après Le Fleuve tourné en Inde, Jean Renoir poursuivra son expérience sur l’utilisation de la couleur avec l’adaptation du Carrosse du Saint-Sacrement de Prosper Mérimée, comédie en un acte datant de 1830 mais inspirée d’un personnage du XVIIIe siècle, la chanteuse et danseuse péruvienne Maria Micaela Villegas, plus connue sous le nom de scène La Perricholi (La Périchole). Renoir déclarait au moment du Fleuve : « Il y avait des années que je voulais faire un film en couleurs. Je pense pourtant que le film en noir et blanc contribue puissamment à faire du cinéma un spectacle. Il bénéficie de l’avantage de ne pas pouvoir être réaliste : qu’on le veuille ou non, la vie extérieure est en couleurs. » D’un autre côté, Claude Renoir, son neveu et aussi son chef-opérateur disait ceci : « Le problème le plus important qui se pose à des techniciens désireux de transposer la couleur à l’écran est d’être aptes eux-mêmes tout d’abord à voir et à saisir les couleurs qui les entourent. » Or, si l’ordre des couleurs et des formes s’offrirent aux Renoir le plus naturellement possible en Inde, il en sera tout autre avec Le Carrosse d’or qui ne peut s’appuyer sur aucune réalité extérieure. Ce sont des producteurs italiens - le prince Francesco Alliata en tête - qui proposeront le projet à Jean Renoir suite au désistement de Luchino Visconti. En conformité avec cette nouvelle prédisposition, le réalisateur de La Règle du jeu émet la proposition qu’on puisse tourner le film, du moins en partie, en Amérique latine. « Des rues peuplées de vrais Indiens, écrit-il au producteur le 10 avril 1951, donneront à la production une valeur extraordinaire. Il y a aussi le style des églises, des courses de taureaux, etc. Mais peut-être envisageriez-vous de tourner quelques plans d’atmosphère par exemple au Mexique. » Aucune suite ne sera pourtant donnée à sa requête. Renoir devra donc faire des prodiges dans le cadre d’un film entièrement conçu en studio. Autre demande non satisfaite : l’embauche du fidèle Eugène Lourié comme décorateur. À vrai dire, l’équipe italienne constituée - Mario Chiari, l’ensemblier Gino Brosio et la décoratrice Maria De Matteis - impressionne et l’on ne peut mettre en doute ses talents et son professionnalisme. À la terminaison, on ne peut qu’admirer la justesse esthétique du Carrosse d’or. Jean Renoir ne saurait y être complètement étranger. Dernière exigence du cinéaste : le refus de la post-synchronisation, le son devra être enregistré en direct. Renoir tournera, en outre, le film en anglais et rejettera un éventuel doublage en français qu’il qualifiera de « procédé barbare », émettant le vœu d’effectuer un second tournage en version française. Des motifs financiers l’en empêcheront. C’est pourquoi le film est généralement projeté chez nous en version anglaise sous-titrée.
La beauté du film n’a rien de purement gratuit. Elle « réside en des choix (le rouge magnifique de la tunique de Pantalone) et en des assemblages (le raffinement des teintes allié au charme des figures dans la scène du menuet). Beauté qui s’offre au regard, exactement comme Camilla (Anna Magnani) se livre au public de ses représentations, sans craindre de prodiguer ses richesses. » (Cl.-Jean Philippe)
La référence à l’univers du théâtre apparaît ici ouvertement et plus spécifiquement à la commedia dell’arte et au XVIIIe siècle. D’où le choix musical d’Antonio Vivaldi - fondamental aux yeux de Renoir. Son collaborateur principal pour ce film fut feu Antonio Vivaldi. « J’ai écrit le scénario au son des disques de ce maître. Son sens dramatique, son esprit m’orientaient vers des solutions m’apportant le meilleur de l’art théâtral italien », ainsi parlait le cinéaste. Le Carrosse d’or est par ailleurs le premier volet d’une trilogie consacrée au monde du spectacle et que prolongeront French Cancan (1955) et Elena et les hommes (1956). Mais, bien évidemment, on n’aurait tort de réduire le sens du film à ce seul hommage.
Au surplus, hommage est rendu à l’actrice principale, Anna Magnani. Son âme, celle d’une comédienne, est au cœur du film. Cependant, l’actrice ne suivait guère le commun des autres professionnels de la scène. Pour incarner La Périchole, Renoir la préférait pourtant. Il lui fallut activer la menace : le réalisateur la prit à part et lui fit comprendre qu’il ne ferait nul film sans elle. Jean Renoir écrira plus tard : « Le personnage de La Périchole était interprété par Anna Magnani. Bien des gens s’étonnèrent de l’application d’un talent connu pour sa violence à un ensemble en principe mieux fait pour des marionnettes milanaises. Si j’avais eu affaire à une actrice de genre bourgeois, mon film eût risqué de tomber dans la mièvrerie. Avec Magnani, le danger était d’aller trop loin dans ce qu’il est convenu d’appeler le réalisme. Sa réussite dans ce rôle est évidente. Sa bouleversante interprétation me força à traiter le film comme une pantalonnade. Un autre atout qu’elle m’apportait était sa noblesse. Cette femme habituée à interpréter des rôles de femmes du peuple déchirées par la passion fut parfaitement à son aise dans les subtilités d’une intrigue de cour. » C’est bien ce que l’on ressent et rarement on aura vu une actrice aussi maîtresse de ses sentiments - passion, générosité, insoumission, goût de la liberté et de la vie - et de ses colères. Claude-Jean Philippe écrit : « Camilla (ndlr : donc la Magnani) est un être réfléchi autant que qu’un personnage, une “première personne du singulier” autant qu’un “grand premier rôle de la tradition” . N’importe quel autre cinéaste se serait contenté d’une brillante prestation de la Magnani. Renoir ne se prive nullement de sa spontanéité, de sa véhémence, de ses éclats, mais il lui demande en même temps d’allier une certaine gravité à légèreté de son cœur changeant, et de maintenir une noblesse d’attitude jusque dans les situations qui devraient tourner à sa propre confusion. Camilla (ndlr : donc la Magnani), en somme, est à la fois l’âme et la conscience du film. »
Serait-ce encore Jacques Lourcelles qui définirait le mieux, à travers la personnalité capricieuse d’Anna Magnani, où se tiendrait la philosophie du film ? « Il est plus facile d’aimer ce film, affirme-t-il, que d’en pénétrer le cœur. Sans doute, se trouve-t-il dans le caractère protéiforme du personnage de Camilla, portrait tout à la fois de la condition humaine selon Renoir, de son auteur lui-même, de ses aspirations et de sa vision du monde. Protée : symbole et incarnation de l’envie faustienne de mener plusieurs existences. » Chose évidemment impossible et qui génère la frustration. L’art, le théâtre dans le cas présent, serait dès lors l’antidote sublimé à pareille insatisfaction. L’épilogue du Carrosse d’or le révèle clairement : Don Antonio (Odoardo Spadaro) prodiguant ce conseil à Camilla : « Ton bonheur, tu le trouveras seulement sur la scène, chaque soir, durant deux petites heures, en faisant ton métier d’actrice : c’est-à-dire en t’oubliant toi-même. À travers les personnages que tu incarneras, tu découvriras, peut-être, la vraie Camilla. » Certes, poursuit Lourcelles, « Renoir rend hommage au théâtre, mais ce serait une erreur que de le limiter à cet hommage-là. Le théâtre apparaît ici comme réalité concrète [...] mais surtout comme métaphore. [...] Il représente un dépassement, encore réel, de la réalité : le théâtre ou la métempsychose préférée de l’Occidental. Synthèse de l’art plastique et de l’art dramatique, musique et confession intime, Le Carrosse d’or est l’un de ces quelques films qui permettent de croire à la supériorité du cinéma sur tous les autres arts. » De croire surtout, et non de l’affirmer, ajouterions-nous.
MS
Citations :
Jean Renoir : Ma vie et mes films, Paris, Flammarion, 1974, p. 233
Claude-Jean Philippe : Jean Renoir, Une vie en œuvres, Paris, Grasset, 2005., p. 376.
Jacques Lourcelles : Dictionnaire des films, de 1951 à nos jours, Bouquins, Paris, 2022. p. 140.
. Le Carrosse d’or. France/Italie, 1952. Réalisation : Jean Renoir. Scénario : J. Renoir, Renzo Avenzo, Giulio Macchi, Jack Kirland, Ginette Doynel, d’après la pièce de Prosper Mérimée Le Carrosse du Saint-Sacrement. Photographie : Claude Renoir, Ronald Hill [Technicolor]. Décors : Mario Chiari, Gino Brosio. Costumes : Maria de Matteis. Cameraman : Rodolfo Lombardi. Son : Joseph de Bretagne, Olidio del Grande. Montage : Mario Serandrei, David Hawkins. Musique : Antonio Vivaldi, Arcangelo Corelli, Olivier Mettra. Arrangements et direction d’orchestre : Gino Marinuzzi Jr. Studios : Cinecittà. Production : Panaria Films (Francesco Alliata), Hoche Productions (Ray Ventura). Durée : 100 mlinutes. Interprétation : Anna Magnani (Camilla), Duncan Lamont (Fradinand, le vice-roi), Odardo Spadaro (Don Antonio, le chef de la troupe), Riccardo Rioli (Ramon, le torero), Paul Campbell (Felipe Aquierre), Nada Fiorelli (Isabelle). Sortie en France : 27 février 1953.
. Dernière séance : Le Samedi 10 février à 15 h à l’Institut Lumière (Lyon)