~ Inchallah un fils ان شاء الله ولد
(2023, Jordanie - Amjad Al Rasheed)
Présenté en mai à la Semaine de la critique à Cannes, « Inchallah un fils » est le premier film jordanien sélectionné dans ce festival prestigieux. Il a par ailleurs obtenu le Prix à la diffusion de la fondation Gan pour le cinéma. Le réalisateur explique s’être inspiré de sa propre mère et de nombreuses femmes bafouées dans son pays pour échafauder son héroïne au tempérament d’acier. Cette comédie dramatique sporadiquement teinté d’humour décrit les malheurs d’une jeune veuve, Nawal (jouée par l’actrice palestinienne Mouna Hawa), qui vient de perdre son mari. Mort au réveil. On lui rappelle sa situation à la veillée funèbre. En bref, elle aurait tout perdu. Maroussia Dubreuil écrit pour « Le Monde » du 6 mars : « Nawal n’est pas au bout de ses peines. Elle doit maintenant se battre pour son héritage : conserver son appartement et la garde de sa fille, dans une société où avoir un fils changerait la donne, s’avère une tâche périlleuse. Selon la jurisprudence, la veuve doit partager les parts de son trois pièces d’Amman avec son beau-frère Rifqi (Haitham Omari). Ne pouvant prouver qu’elle a participé à son financement - son mari n’a pas signé le formulaire - et n’ayant pas été autorisée à contracter un prêt auprès d’un établissement bancaire - c’est une femme -, elle décide de bluffer en prétendant être enceinte pour suspendre l’ordonnance du juge. « Malgré le deuil, le film est d’humeur solaire, à l’image de son héroïne, qui slalome entre les lois, court entre son travail et l’école de sa fille, sait dire non aux hommes qui se proposent de penser à sa place dans des négociations interminables, enfile et retire son voile à la vitesse de l’éclair... [...] Si l’ensemble nous apprend beaucoup sur la législation patriarcale du pays, le film ne s’attache pas uniquement à l’histoire d’une loi. L’intrigue, coécrite par la scénariste française Delphine Agut, nous entraîne dans une spirale bureaucratique. [...] On pense à Ken Loach et son « Moi, Daniel Blake » (2016) dans lequel un homme malade se bat contre les institutions pour percevoir une allocation d’invalidité. [...] C’est dans une course contre la montre, logée à l’enseigne du réalisme et de la petite combine, que la fiction prend tout son sens. En faisant croire qu’elle attend un fils de son mari défunt, Nawal déplace le récit du côté de son incantation - Inchallah un fils ! - et lui donne le goût du petit miracle. Le film d’Al Rasheed fait fructifier la fable dans deux décors, celui de l’appartement familial ouvert à tous les vents, notamment par le beau-frère qui dicte à Nawal la conduite à suivre et par le frère qui fait acte de présence. La souris qui grignote dans la cuisine constitue la métaphore humoristique du sentiment d’étouffement dont souffre la maîtresse de maison. Il y a ensuite la maison où Nawal travaille en tant qu’infirmière dans un quartier riche de la capitale jordanienne. Là, Lauren (Yumna Marwan), la fille des propriétaires, est enceinte d’un homme qui la néglige et cherche à avorter en dépit de l’interdiction. Cette trame met en miroir deux destins de femmes dont le dénominateur commun est l’absence de liberté. Pour autant, cette confrontation ne produit pas un scénario attendu - l’échange de bébé - mais démontre la pénibilité d’un patriarcat omniprésent à toutes les strates de la société. » (M. Dubreuil)Il faut voir dans la détermination de Nawal à conserver coûte que coûte le pick-up de son défunt époux et aussi dans son optimisme volontariste, la promesse d’une émancipation future à laquelle tous les esprits progressistes ne cessent de croire.
Sortie ce 6 mars 2024 sur nos écrans français.
Inchallah un fils. Jordanie, 2023. Réalisation : Amjad Al Rasheed. Scénario : Delphine Agut, Rula Nasser. Photographie : Kanamé Onoyama. Montage : Ahmed Hafez. Son : Nour Halawani. Musique : Jerry Lane. Production : Rula Nasser, Aseel Abu Ayyash. Interprétation : Mouna Hawa (Nawal), Seleena Rababah (Nora), Haitham Omari (Rifqi), Yumna Marwan (Lauren), Salwa Nakkara (Souad).
Dossier de presse : file:///C:/Users/PC/Downloads/iufdp240111frld.pdf
Présentation du réalisateur.
Inchallah un fils est une histoire de survie, d’émancipation et d’espoir. A travers elle, j’ai voulu dénoncer l’oppression imposée par une société patriarcale, et inviter les spectateurs à la réflexion.
D’où vous est venue l’idée de ce film ?
J’ai grandi entouré de femmes. Lorsque j’étais enfant, elles évoquaient sans détour en ma présence les problèmes qu’elles rencontraient avec leurs maris, pensant que je n’écoutais pas ou que j’étais trop petit pour comprendre. Ainsi, j’ai vu que notre société et notre culture attendent des femmes qu’elles acceptent sans broncher le comportement abusif des hommes qui leur dictent leurs croyances et leur conduite. J’ai donc compris très jeune comment les femmes doivent faire face à un schéma oppressif et comment cette attitude est normalisée. Inchallah un fils s’inspire de la lutte d’une parente proche, qui a consacré toute sa vie à servir sa famille, et a vécu avec un homme qui lui a fait perdre peu à peu la notion de qui elle était vraiment. À la mort de son mari, conformément aux lois en vigueur en matière d’héritage, ses biens auraient dû être répartis entre les plus proches parents du défunt, car le couple n’avait que des filles. Toutefois, les frères et sœurs de son mari ont renoncé à leur part pour que la veuve et ses filles puissent garder leur maison, en lui disant : « Nous te permettons de vivre chez toi ». Ils ont eu un comportement exceptionnel à son égard, sûrement parce qu’ils étaient à l’aise financièrement. La formule « Nous te permettons » m’a interpellé. Que ce serait-il passé dans le cas contraire Qu’aurait-elle fait s’ils avaient exigé une part de sa maison, comme le prévoit la loi ? Ces questions ont fait naître l’idée du film : montrer le manque de contrôle de nombreuses femmes sur leur destin et la facilité avec laquelle leurs droits sont bafoués.