Napoli
L’OR DE NAPLES:
LE CŒUR DE VITTORIO
« J’ai habité longtemps dans une ville vraiment exceptionnelle. Ici, [...], toutes les choses, le bien et le mal, la santé et les douleurs, le bonheur plus chantant et la douleur plus déchirante, [...] tous ces mots étaient si étroitement liés entre eux, confus, amalgamé les uns aux autres, que l’étranger qui arrivait dans cette ville en ressentait [...] une impression très étrange, comme d’un orchestre et de ses instruments, composés d’âmes humaines, qui n’obéiraient plus à la baguette intelligente du maestro, mais s’exprimeraient chacun pour son propre compte suscitant des effets d’une merveilleuse confusion... »
— Anna Maria Ortese, l’Infanta sepolta, Adelphi, Milan 1994, p. 175.
Né dans la province de Terra di Lavoro, à mi-chemin entre Rome et Naples, Vittorio De Sica était issu d’une vieille bourgeoisie appauvrie. Son père Umberto, à qui il rendit hommage dans un de ses films les plus accomplis (Umberto D, 1952), n’eut de cesse de conserver, malgré cela, son élégance et sa dignité. Ce trait de caractère marque d’ailleurs le personnage du film précité, un vieux fonctionnaire affecté d’une maigre pension. Vittorio lui-même aura souvent l’occasion d’interpréter des rôles d’hommes soucieux de sauver les apparences. Tout cela est évidemment très proche de Charlie Chaplin… et du fameux comique napolitain Totò. Le Napolitain en général n’échappe pas non plus à ces paradoxes. Il fallait donc s’attendre à ce que De Sica ait recours à Totò pour le premier des sketches (Il guappo /Le Caïd) de son Oro di Napoli, sorti à la fin 1954.
Les lendemains de la Première Guerre mondiale avaient été rudes pour le peuple italien. La famille du cinéaste dut en souffrir. Elle fut, en particulier, contrainte à l’émigration intérieure (« quitter la province pour la grande ville »). Or, cet exil a souvent le tort d’être sous-estimé alors qu’un pays n’est jamais un espace à la réalité économique, sociologique, culturelle et linguistique uniforme. Cependant, lorsque Vittorio débarque à Naples, il est un adolescent. De fait, Naples restera, à jamais, dans son cœur.
Le réalisateur qui impose l’image de Vittorio comme acteur à l’écran c’est Amleto Palermi (1889-1941), en dépit de l’hostilité du producteur gênois Stefano Pittaluga (1887-1932). « Avec un nez pareil, comment voulez-vous qu’il puisse réussir à l’écran ? », dira celui-ci. Si nous évoquons ici Palermi c’est parce que ce dernier réalisa, au sein d'un ensemble de trois comédies interprétées par Vittorio et Maria Denis, un Napoli d’altri tempi (Naples d’autrefois) (1937), ineffable recueil de chansons napolitaines illustrant la vie romancée d’un compositeur de condition modeste. Cette œuvre figure comme l'ultime témoignage d'un genre très prisé au cours des années 20, la canzone sceneggiata napolitaine bien mise en valeur, par exemple, par l'une des rares dames de la réalisation transalpine, Elvira Notari. De Sica s’en sera sûrement souvenu. Du reste, on retrouve pour L’Oro di Napoli, Alessandro Cigognini qui avait été le compositeur de Napoli d’altri tempi. Les chants qui accompagnent les séquences ici ou là sont d’ailleurs très suggestifs.
À l’époque de sa conception, Vittorio De Sica affrontait de grandes difficultés pour prolonger, en accord profond avec son scénariste Zavattini, un travail créatif suivant l’optique qu’il s’était fixée, mais aussi selon l’engagement conforme à son idéal politique. Il n’abdiquait pas tout à fait pourtant, s’efforçant de maintenir un contraste, une forme de tension dramaturgique apte à provoquer le questionnement. En deuxième lieu, débutait ici, à travers L'Oro di Napoli, un genre promis à un essor passager : le film à sketches. L'œuvre présente ne doit donc pas être négligée. Aussi, et contrairement aux primes impressions, il ne s’agit pas d'épisodes destinés à donner, sur une modulation uniment drôle et divertissante, un regard sur une cité grouillante de vie et éclatante de soleil, propre à satisfaire des touristes qui fantasmeraient Naples à travers des songes de cartes postales. « Signe d’un fort engagement émotionnel, écrit Jean Gili, il porte pour la première fois sur l’écran la ville de son enfance. La rencontre donnera d’autres fruits, Le Jugement dernier, Hier, aujourd’hui demain, Mariage à l’italienne. »
Le générique évoque d’ailleurs le contraste rappelé plus haut. « Les ruelles de Naples, y est-il indiqué, ont d’infinis aspects à la fois humbles et splendides, tristes et joyeux. Nous n’en montrons qu’une partie, mais vous trouverez aussi un reflet de cet amour de la vie, de cette patience et de cet espoir sans fin qui sont L’Or de Naples. » On rapprochera ces phrases de déclarations faites par des cinéastes napolitains comme Francesco Rosi (Le mani sulla città, Lucky Luciano) ou Mario Martone (Mort d’un mathématicien napolitain, Leopardi : il giovane favoloso). Ce dernier venant d’ailleurs de réaliser Il sindaco del rione Sanità (2019) (« Le maire du quartier Sanità »), présenté à l’ultime Mostra de Venise. Or, celui-ci est adapté d’une pièce d’Eduardo De Filippo, très grand comédien napolitain, présent dans le sketch Il professore de L’Oro di Napoli. En outre, le quartier Sanità est celui où sévit le Caïd Don Carmine Javarone du sketch initial avec Totò. Ce même Totò, dans la peau du clown Don Saverio Petrillo, se recueille sur la tombe de l’épouse du Caïd, décédée dix ans plus tôt : Plan d’une fraction du cimetière filmé face au fumant Vésuve. L’idée de mort imprègne continuellement la mentalité napolitaine. Le film de Vittorio De Sica s’en fait l’écho avec régularité. « Mon film est une comédie, et pourtant l’idée de la mort y apparaît constamment en filigrane. Le Napolitain ne cesse de penser à la mort. C’est ce qui lui donne sans doute cette philosophie souriante, cette sagesse qu’il faut savoir découvrir. Il n’y a pas d’autre « or » à Naples que cette sagesse-là », affirmait le cinéaste. Or, justement, le Caïd (Pasquale Cennamo) en est dépourvu : ce bravache, fort comme un lion, qui sème la terreur dans le quartier, s’effondre comme un gosse lorsqu’il apprend qu’il pourrait être atteint d’une maladie incurable et fatidique. Don Carmine est un faux dur comme les cols qu’il fait repasser par la jeune femme de Saverio, Carolina (Lianella Carell, autrefois épouse du Voleur de bicyclette incarné par Lamberto Maggiorani). Dès ce sketch, la signification va au-delà des apparences. La comédie de type néo-réaliste n’est pas qu’un habillage : l’épilogue émet une morale tragiquement ambiguë. Le refus de tout discours à caractère idéologique n’apparaît pas comme un processus habile de contournement. A contrario, elle laisse terriblement insinuante et actuelle la métaphore sur une Naples complètement assiégée par la gangrène. La mafia ne s’est-elle pas installée chez l’habitant ? Tandis qu’à son époque, certains critiques faisaient la moue, déçus par l’évolution du cinéaste, Gilbert Salachas notait avec perspicacité : « Le brio de la forme, l’adresse de la construction dramatique, concourent à de multiples interprétations. Cette indétermination des comportements, sensible dans le corps même de certains sketches, est surtout flagrante dans les conclusions, toujours ponctuées par un dernier ou un avant-dernier plan d’une longueur ou d’une fixité bien significative. […] Si De Sica place une « fin » dramatique, la conclusion psychologique et morale est de notre ressort. »[1] Au demeurant, ce fut toujours la philosophie de De Sica et Zavattini. Jean Gili a parfaitement raison d’écrire : « Critiqué pour ses engagements humanitaires – les communistes lui reprochent de ne jamais faire allusion à la lutte des classes -, De Sica est surtout en butte à l’hostilité de la démocratie chrétienne. »[2]
L’Oro di Napoli est inspiré d’un recueil de nouvelles écrites par Giuseppe Marotta et publié en 1947 chez Bompiani. Né à Naples, orphelin de père, Marotta a quelque affinité de destin avec Vittorio De Sica. Il est le fils d’une bourgeoisie désargentée. D’abord travailleur à la société distributrice du gaz, il reprend en parallèle ses études et commence à écrire. Il est alors publié et, à partir de 1925, devient journaliste à Milan. Il est bientôt remarqué par Aldo Borelli, alors directeur du Corriere della Sera. Il travaille pour ce quotidien jusqu’en 1943, collaboration interrompue deux ans durant et reprise après-guerre. Marotta concentre son énergie et sa passion littéraire à la ville de Naples. L’Oro di Napoli obtiendra un grand succès. Giuseppe Marotta écrivait aussi des scénarios. Il collabore ainsi au film de Vittorio De Sica. Enfin, il possède un autre talent : il est parolier. Ses chansons napolitaines, très souvent écrites dans la lingua napoletana, sont réputées et Mare Verde, en particulier, est immensément célèbre. Ceci expliquant certains traits musicaux de L’Oro di Napoli. Avec l’aide de Giuseppe Marotta, De Sica et Zavattini parviennent à pénétrer l’âme d’une œuvre, d’une cité et de ses habitants. « Rarement dans ma vie, confesse le cinéaste, je me suis senti aussi heureux que pendant ces journées de tournage à Naples. L’ardeur et la facilité avec lesquelles nous avons établi une communication d’idées et d’émotions réciproque, m’émeuvent encore ; et encore plus le souvenir de Zavattini l’Émilien, l’homme des brouillards de la vallée du Pô devenant miraculeusement « napolitain », prêt à comprendre et à aimer les aspects les plus secrets de la ville. »[3]
Six épisodes composent L’Oro di Napoli : Il guappo (« Le Caïd »), Pizze a credito (« Pizza à crédit »), Il funeralino (« Le Petit enterrement »), I giocatori (« Les Joueurs »), Teresa et Il professore. On notera que pour l’exploitation italienne, on jugea plus recommandable de supprimer le sketch des funérailles d’un enfant. En France, on y ôta de surcroît celui du professeur, estimé comme incompréhensible chez nous. En outre, l’ordre de déroulement des épisodes variera. Vittorio De Sica souhaitait, en tout état de cause, que L’Oro di Napoli s’achève sur Il funeralino. Or, ce sketch est l’unique qui ne soit pas inspiré de Marotta. Il traduit incontestablement la sensibilité particulière du réalisateur. Vittorio De Sica commente : « selon la coutume napolitaine, les parents jettent aux sciuscias de la ville des bonbons, cadeaux de l’enfant mort à tous ses petits amis. Le long du cortège, derrière le corbillard blanc, les gosses […] se jettent sur les bonbons qu’on leur lance et créent autour de cet enterrement une atmosphère de joie et de jeunesse. La maman de l’enfant mort se met à sourire à son tour. Ces funérailles qui se terminent dans la gaieté générale, c’est la conclusion du film. »[4] Tout Naples se tient là, en effet. Tout comme la pensée de Marotta qui s’énonce ainsi : « Nulle part au monde, la mort n’est aussi familière et affable que là-bas entre le Vésuve et la mer. »
Cette empathie vers le monde de l’enfance blessée, Vittorio De Sica l’a invariablement exprimée. L’obsession du jeu qui tourmente le comte Prospero B. l’a ruinée (I giocatori). Sa riche épouse veille au grain. Il en est donc réduit à jouer à la scopa avec un enfant. Le cinéaste proposera le rôle de l’aristocrate gagné par une passion dévorante à un illustre avocat local, Alfredo Jelardi. Ce dernier déclinera l’offre. Vittorio prendra sa place. À vrai dire, le réalisateur ne pouvait qu’être parfait : de ce penchant compulsif, l’homme De Sica en souffrait personnellement. On n’en dira guère plus. Ici, le croquis est cruel : aux jeux des adultes, les enfants sont toujours perdants. De cet univers injuste, ils retiennent vite la leçon : toute la tristesse du petit Gennarino se lit dans l’ultime séquence où il caresse son chat. Vittorio De Sica n’assène là encore nulle accusation. Le spectateur juge à travers l’indignation silencieuse de l’enfant.
Victimes du monde des adultes masculins, les femmes le sont aussi. En Italie, tout particulièrement ; et bien des cinéastes en ont rendu compte. Avec Teresa, De Sica donne le segment le plus bouleversant de L’Oro di Napoli. Silvana Mangano, récompensée d’un ruban d’argent, manifeste, plus encore que dans Riso amaro de Giuseppe De Santis, ses potentialités dramatiques exceptionnelles. Teresa, prostituée d’une grande beauté, est remarquée par un bel homme riche (Erno Crisa) qui lui propose le mariage. Or, celui-ci ne l’aime pas. Il tente de racheter un malheureux événement qu’il considère comme un péché : celui de ne pas avoir épousé Lucia qui s’est alors suicidée. Flouée et humiliée, Teresa s’enfuit, au milieu de la nuit, de la demeure luxueuse de Don Nicola. Parvenue au bout de la rue, le visage défait et indécis, Teresa distingue sur la place un cocher et son fiacre. Elle éclate bientôt en sanglots : que fera t-elle ? Va-t-elle renouer avec sa condition antérieure ou réintégrer sa somptueuse prison conjugale ? Vittorio De Sica montre, une fois encore, sa capacité à fixer en quelques images le raccourci d’une situation sociale révoltante, ici celle de la condition féminine en Italie certes, mais dans le monde également.
Teresa est l’unique épisode qui revêt une dominante tragique. Qu’il soit, avec le quasi muet Il funeralino (« Un enfant est mort »), le plus mémorable n’indique pas que L’Oro di Napoli ne brille pas dans cet art inimitable qui fusionne comédie et drame, au demeurant symptomatique d’une tangibilité spécifiquement napolitaine. « La ville se prête admirablement au spectacle de par sa structure architecturale – ses ruelles et ses palais décrépis – et le goût de sa population à mettre en scène sa fantaisie et son drame quotidien. » (J. A. Gili) Il professore c’est Don Ersilio Miccio (Eduardo De Filippo) qui vend de la sagesse ou plutôt prodigue ses conseils aux habitants d’un quartier pauvre, moyennant quelque rétribution. C’est que le monde a changé et Naples doit en enregistrer le fait. Don Ersilio est un des rares à connaître encore l’authentique « pantalonnade » (pernacchio et non pernacchia). Là, réside, à l'en croire, la nuance dans l’art d'émettre, entre autres, une enflure sonore. On retiendra surtout la leçon d’Ersilio, elle serait, à elle seule, une conclusion : pernacchio, autrement dit Naples, entre « tête (testa) et poitrine (petto) » c’est-à-dire entre « cerveau (cervello) et passion (passione). Le Duc Alfonso Maria Sant’Agata dei Fornari (Gianni Crosio) aura beau entendre son nom suivi de n’importe quelle raillerie, il n’y verra que du feu, il croira même qu’on l’honore. C’est qu’ici, rien ne saurait être trop grave, ni trop léger non plus.
On en omettrait presque d’autres particularités de l’esprit parthénopéen, n’eût-été le segment avec l’exubérante pizzaiola Sofia (Sophia Loren) et le veuf Don Peppino (excellent Paolo Stoppa). Dans ce quartier – ici le rione Matterdei - où tout le monde ne peut s’éviter, les commérages et les allusions vont bon train. Alors, quand Sofia, profitant d’une messe, trompe son mari (Giacomo Furia) avec le séduisant Alfredo (Alberto Farnese), puis oublie sa bague en émeraude chez lui, tout le monde s’accorde – intempéries aidant – à confirmer le discret mensonge d’une donzelle qui affole vraisemblablement tous les mâles du secteur. Entre le tragique théâtral (Paolo Stoppa) et la grimace rouée (Sophia Loren, peut-être trop à l’aise dans ce registre), il y entre sûrement un jeu qui permet à chacun d’exercer son talent. Car, à Naples, la rationalité n’est pas à quêter dans l'apparente confusion du monde, mais dans le songe que chacun de ses habitants se complaît à tisser, cette fabuleuse smorfia, intraduisible ou presque dans nos contrées, et que l’on projette nulle part qu’en soi-même, et surtout pas au ciel ou sur les flots marins : « Il mare non bagna Napoli », titrait un roman d’Anna Maria Ortese. Au-delà des monuments et du cadre pittoresque, Vittorio De Sica préfère, quant à lui, ces hommes et ces femmes des quartiers populaires, leurs récits et leurs rêves. C’est en effet le cœur de Naples.
Le 2/12/2019.
MiSha
L'Oro di Napoli (1954)
Regia/Director: Vittorio De Sica
Soggetto/Subject: opera, 138 minutes.
Sceneggiatura/Screenplay: Cesare Zavattini, Giuseppe Marotta, Vittorio De Sica
Interpreti/Actors: Totò (don Saverio Petrillo), Sophia Loren (Sofia), Vittorio De Sica (conte Prospero), Silvana Mangano (Teresa), Eduardo De Filippo (don Ersilio Miccio), Giorgio Izzo, Teresa De Vita, Lianella Carell (Carolina, moglie di Saverio Petrillo), Giacomo Furia (Rosario, marito di Sofia), Pierino Bilancioni (Gennarino), Erno Crisa (Nicola, suo marito), Tina Pica (una cliente), Enrico Demma, Pasquale Cennamo (don Carmine, il guappo), Paolo Stoppa (don Peppino, il vedovo), Mario Passante (Giovanni, il maggiordomo), Ubaldo Maestri (Ubaldo, l'intermediario), Nino Imparato (Gennaro), Walter Clift-Luce, Agostino Salvietti (Gennaro Esposito, il salumiere), Alberto Farnese (Alfredo, l'amante), Irene Montaldo (contessa), Giovanni Francese, Giovanni Crosio [Gianni Crosio] (duca Alfonso), Vincenzo Musolino, Nino Vingelli (guappo), Tecla Scarano (amica del vedovo), Lars Borgström (Federico, il portiere), Aldo Biancoli, Pasquale Tartaro (Cafiero), Fabrizio La Rocca, Gigi Reder, Giuseppe Jodice, Luciano Rondinella, Rosetta Dei
Fotografia/Photography: Carlo Montuori
Musica/Music: Alessandro Cicognini
Costumi/Costume Design: Pia Marchesi
Scene/Scene Design: Gastone Medin, Virgilio Marchi
Montaggio/Editing: Eraldo Judiconi [Eraldo Da Roma]
Suono/Sound: Aldo Calpini, Biagio Fiorelli, Bruno Moreal
Produzione/Production: Ponti-De Laurentiis
Distribuzione/Distribution: Paramount
censura: 17777 del 18-11-1954
Altri titoli: L'or de Naples, Gold of Naples, Gold of Naples, Das Gold von Neapel, Il guappo, Il funeralino, Pizze a credito, I giocatori, Teresa, Il professore
[1] G. Salachas : Télé-Ciné, n° 59.
[2] In livret L’Or de Naples, Tamasa CNC.
[3] Tempo illustrato, 30/12/1954.
[4] Cité par P. G. Horvald, « Le néoréalisme italien et ses créateurs », Le Cerf, 1959.
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NAPLES : Rêver
« La plus belle ville du monde, selon les uns ; un labyrinthe bruyant et puant, selon les autres. S’il est une ville sur laquelle personne ne peut porter le regard neutre du touriste, c’est bien Naples. Ou bien on la chérit d’amour, en passant sur le désordre, la saleté, les risques divers (précarité de l’hygiène, astuce des filous), ou bien on la rejette d’un bloc, sans en comprendre ni les merveilles architecturales ni les leçons de sagesse. Naples ne se livre qu’à ceux qui l’aime : inutile donc de s’y rendre sans être prêt à s’y perdre. Le voyageur qui refuse de tenter l’aventure ne rapportera que de maigres satisfactions. Les deux musées, certes, lui permettront d’enrichir sa culture. Dans l’un, la pinacothèque de Capodimonte, il sera ébloui par de nombreux chefs-d’œuvre de la peinture européenne, dont les auteurs s’appellent Masaccio, Giovanni Bellini, Titien, Guido Reni, Caravage, Bruegel. Dans l’autre, le Musée national, il admirera les statues grecques et romaines, les bronzes noirs d’Herculanum, l’Antinoüs Farnese, un des plus parfaits qu’on connaisse, les mosaïques de Pompéi, une des plus vastes collections au monde d’art antique. Mais s’en tenir à ces témoignages de la « haute » culture lui fermerait l’accès à ce que Naples a d’unique à lui offrir, une culture populaire, orientale, grasse, odorante, plus que « basse » et d’un enchantement sans limites. À commencer par cette smorfia, ces mystérieux paris sur le rêve, dont il n’aura même pas eu vent s’il est cantonné dans les activités habituelles du touriste. […]
Naples était à la fin du XVIIIe siècle la troisième ville d’Europe, après Paris et Londres ; la capitale d’un royaume florissant et un centre intellectuel et artistique de premier plan. « Paris et Naples, les deux seules capitales », disait encore Stendhal. L’Unité italienne, faite au bénéfice des villes et des industries du Nord, a ruiné Naples, traumatisme dont les Napolitains ne se sont jamais relevés. Qu’on évite de perdre de vue ces vicissitudes de l’histoire, si l’on veut comprendre ce mélange de grandeur et de misère, de foi robuste dans la vie et de récurrente démoralisation, d’emphase orgueilleuse et de démission autodestructrice, qui s’offre aujourd’hui au voyageur dans les vieux quartiers de Spaccanapoli.
De même qu’on doit garder présent à l’esprit l’extraordinaire bouillonnement géologique du sol et du sous-sol. […] »
- Dominique Fernandez, Le Voyage d’Italie, Plon, 1997.
« C'est peut-être parce que Naples est une grande capitale comme Paris, que je trouve si peu à écrire. [...] Il y a plus de vivacité et surtout plus de bruit ici ; souvent la conversation est tellement criarde qu'elle me fait mal aux oreilles. Naples est la seule capitale de l'Italie ; toutes les autres grandes villes sont des Lyon renforcés. »
- Stendhal (20 février 1817. Rome, Naples et Florence, Éditions Gallimard,1987)