... Pain et chocolat (Pane e cioccolata, 1974 - Franco Brusati)

 

 

~ Le film sera diffusé dans le cadre de la rétro Cinéma italien 1950-1980 à l’Institut Lumière de Lyon
. Séances : V 20/12 18 h 30 - J 2/01 18 h 30

 

Nino, émigré italien en Suisse, fait tout pour y rester, quitte à endurer toutes les humiliations... Chronique mélancolique portée par l’acteur Nino Manfredi.

 

~ Franco Brusati (1922-1993) est souvent présenté comme un réalisateur à part, un outsider loin des modes et conventions de son temps. La critique italienne considère même qu’il a réalisé avec « Pain et chocolat » un chef-d’œuvre digne de Chaplin, un modèle de comédie sociale parvenue à l’équilibre parfait de la critique politique, du burlesque et du drame. [...] Immense succès populaire en Italie, salué aux Etats-Unis par une critique dithyrambique, on retrouve concentrées dans cette histoire d’immigré italien incapable de trouver sa place dans une Suisse effrayante de normalité, toutes les composantes constitutives de son cinéma : les thèmes de la solitude et de l’isolement, le goût de la fable, une certaine tendance à l’excès, le mélange des genres, la qualité des dialogues, la volonté de charger le plus possible les plans de sens et de symboles (pour le meilleur et pour le pire).


- Mathias Sabourdin [Dictionnaire du cinéma italien, Nouveau monde Ed.]

 

~ La vraie comédie à l’italienne sur l’émigration pour le travail en Europe reste « Pain et chocolat » de Franco Brusati surtout film sur les pauvres et les marginaux qui sont partout les mêmes. Ce n’est pas hasard s’il obtint du succès dans le monde entier : chaque pays a ses noirs, ses juifs, se méridionaux, ses arabes. On assiste ici à la lente déchéance d’un Italien de la Ciociara émigré en Suisse qui, dans son voyage parmi les miséreux, connaît petit à petit des pauvres toujours plus pauvres, jusqu’à cette effroyable engeance d’hommes-poulets réduits non uniquement métaphoriquement au caquetage (comme cela arrivait au même Nino Manfredi dans une version exclusivement comique du sketch “Huis clos” (Udienza a porte chiuse) d’ « Une poule, un train et quelques monstres » (Vedo nudo, 1969) de Dino Risi, dans lequel le rustre accusé d’avoir violé une poule prononçait aussi la phrase “l’homme n’est pas de bois”, qui se transforme dans « Pane e cioccolata » en refrain d’une chanson poignante des émigrés). Mais le protagoniste est un Charlot méditerranéen qui conserve intacte sa dignité. [...] « Ils nous embobinent depuis toujours avec leur guitare et leur mandoline : et nous on chante encore ? » « Beh, chante et ça te passera ? non ? » « À moi, cela ne passe pas, répond Nino, ce n’est pas ainsi que ça passe ! Il faut les changer les choses, pas les chanter. »


- Enrico Giacovelli (Il était une fois, la comédie à l’italienne, Gremese)

 

~ [...] Grâce à ce personnage indécis et flegmatique, ce n’est pas seulement la Suisse qui est visée, mais la destinée malheureuse de “l’étrange étranger” dont parle Jacques Prévert : sans possibilité d’emploi dans son propre pays, il fut contraint de s’expatrier. Traité comme un “autre” c’est-à-dire comme une sorte de sous-homme par les blonds managers du capitalisme opulent, il songe sans cesse à rentrer chez lui. A diverses reprises, il se rend à la gare et, chaque fois, en rencontrant ses concitoyens qui eux aussi entreprennent le voyage du retour, en les entendant s’attendrir sur leur patrie et vocaliser “O sole mio”, il redescend du train. Il revient sur cette terre d’exil où tous ses gestes (et d’abord ceux qu’il n’ose accomplir !) lui donnent le sentiment d’être coupable. Ayant été mis en possession d’un ballon d’enfant après avoir découvert un cadavre dans les taillis, il est emmené par les gendarmes. Sommé de décliner son identité, il dit : « Garofoli, Nino, innocent. » Comme si ce dernier terme renvoyait à sa profession. « Italien ? » questionne le commissaire. « Hé ! personne n’est parfait ! » répond Nino pour s’excuser. Ces quelques phrases indiquent la drôlerie que masque l’amertume qui, à son tour, prend des allures comiques et renvoie à une sorte de fatalité, ce qui provient, en réalité, d’une situation sociale traumatisante. « Pain et chocolat » est le portrait d’un homme déraciné.


- Freddy Buache (Le Cinéma italien 1945-1979, L’Âge d’Homme)

 

 

¬ Pane e cioccolata. Italie, 1974, 111 min. R. Franco Brusati. Sc. F. Brusati, Iaia Fiastri, N. Manfredi. Ph. Luciano Tovoli. Mus. Daniele Patucchi. Mont. Mario Morra. Déc. Luigi Scaccianoce. Prod. Maurizio Lodi-Fè, Verona Prod. I. Nino Manfredi (Nino), Anna Karina (Elena), Johnny Dorelli (l’industriel italien), Paolo Turco (Gianni), Gianfranco Barra (le Turc).

Nino Manfredi