Au revoir les enfants

... Au revoir les enfants (1987, France - Louis Malle)

 

 

Le cinéma d’Arte

 

https://www.youtube.com/watch?v=kBvNIRcQmlI

 

. Synopsis :

En janvier 1944, après le congés scolaires de Noël, Julien Quentin, douze ans, et son frère François, son aîné de quatre ans, retournent au collège Saint-Jean-de-la-Croix, un pensionnat tenu par des pères de l’ordre du Carmel, en Île-de-France. Leur maman les accompagne à la gare de Lyon. Trois nouveaux viennent d’arriver dans l’école et l’un d’eux, Jean Bonnet, se voit assigner par le directeur, le Père Jean, le lit attenant à celui de Julien dans le dortoir. Elève brillant et apprécié, légèrement effronté, Julien, comme l’ensemble de ses collègues, taquine le nouveau. Cependant, au fil du temps, leur penchant commun pour la musique et la littérature les rapproche et, un soir, après la confession, le Père Jean recommande à Julien de ménager le jeune Bonnet. Leur amitié est renforcée le jour où ils s’égarent en forêt : des soldats de la Wehrmacht d’origine alsacienne, plutôt compréhensifs, les ramènent au collège. Bonnet affirme qu’il est protestant, que son paternel serait prisonnier en Allemagne et que sa mère se trouverait en zone libre. Julien découvre qu’il est, en réalité, de confession juive et qu’il se nomme Kippelstein. Alors qu’ils se reposent à l’infirmerie, il n’hésite pas à le lui dire. Un dimanche, Mme Quentin vient visiter ses deux fils et les emmène dans un restaurant chic, et, par la même occasion, Bonnet est aussi invité. Un client juif est alors expulsé par la Milice. François s’insurge et, ensuite, un officier allemand, cherchant à impressionner la mère de Julien, ordonne aux miliciens de quitter les lieux. Des élèves, tout comme les deux frères Quentin, se livrent à un petit marché noir. Les faits sont découverts, les élèves sont punis et l’un d’eux, Joseph, est renvoyé. Peu après, la Gestapo fait intrusion dans le collège et procède à l’arrestation de Jean Bonnet et de deux autres enfants juifs. On apprend que Joseph les a dénoncés par rancœur...

 

 

Au revoir les enfants. 1987, 106 min. Prod. : Nouvelles Editions de Films/MK 2 productions/Marin Karmitz (Paris)/Stella Film et NEF (Munich). Réalisation, production et scénario : Louis Malle. Ph. Renato Berta, Couleurs. Mont. Emmanuelle Castro. Dir. art. Willy Holt. Son : Jean-Claude Laureux. Musique : Extraits du Moment musical n° 2 de Franz Schubert (Jean-François Heisser) et Rondo capricioso de C. Saint-Saëns. I. Gaspard Manesse (Julien Quentin), Raphaël Fejtő (Jean Bonnet), Francine Racette (Madame Quentin), Stanislas Carré de Malberg (François Quentin), Philippe Morier-Genoud (le Père Jean), François Berléand (le Père Michel), François Négret (Joseph), Peter Fitz (Müller, officier de la Gestapo), Irène Jacob (Mlle Davenne). Tournage : 26 janvier au 27 mars 1987 à Provins, pour l'institution Sainte-Croix — au lieu du Petit-Collège d'Avon et dans la forêt de Fontainebleau, en Seine-et-Marne. Sortie en France : 7 octobre 1987. Lion d’Or à la Mostra de Venise 1987. Prix Louis-Delluc 1987. César du meilleur film et du meilleur réalisateur 1988.

. À la fin du générique du film, au moment où les élèves entrent dans l’école, surgit à l’écran cette dédicace : pour Cuotemoc, Justine et Chloë, le garçon et les deux filles de Louis Malle. Cuotemoc est né à Mexico en 1971, sa mère est l’actrice allemande Gila von Weitershausen, âgée de 80 ans à présent. Elle figure dans Le Souffle au cœur. Justine, native de Clamart en 1974, aujourd’hui réalisatrice, est la fille d’Alexandra Stewart, l’actrice canadienne qui joue dans Le Feu follet et Black Moon. Quant à Chloë, née en 1985 à New York, elle est le fruit de l’union du réalisateur avec l’actrice américaine Candice Bergen, qu’il épousa en 1980.

 

 

~ Après l’ “expérience américaine” qui donna, entre autres, La Petite (1978), Atlantic City (1980), My Dinner with André (1981) et Alamo Bay (1985), Louis Malle qui, durant le tournage de ce dernier film, commença à noter quelques idées pour Au revoir les enfants, éprouvait le fort besoin de retrouver ses racines et, surtout, de raconter une histoire personnelle qui, adolescent, l’avait profondément bouleversé. « Je savais que l’heure était venue, disait-il. J’étais paniqué, car c’était si important pour moi, c’était mon principal repère, l’événement le plus significatif de mon enfance, et peut-être de toute ma vie. Pendant toutes ces années, j’avais temporisé, car je voulais avoir la certitude d’aborder cette entreprise en me trouvant dans la meilleure forme possible. » Louis Malle indiquait également que si le film restait proche de ce qu’il avait vécu, il était nécessaire de retenir un aspect étonnant : après vérifications, le cinéaste s’était en effet rendu compte de l’apparition de certaines dissemblances. « Comme si, pendant ces quarante-cinq ans, mon imagination avait pris le dessus et fertilisé mon souvenir. Le souvenir n’est pas figé, il vit intensément, il bouge, il change. » Le récit d’Au revoir les enfants est donc le souvenir d’un vécu personnel. C’est tout de même une fiction et non un film documentaire. Quoi qu’il en soit, l’essentiel est qu’il soit un témoignage sur une période de l’histoire française et le rappel d’une expérience infiniment authentique.

Exemple d’une mémoire “réinvestie” : l’amitié entre les deux enfants Julien et Jean. Elle n’a jamais existé ailleurs que dans le film. Malle déclarait dans plusieurs interviews que c'est ce regret qui a motivé Au revoir les enfants. Le personnage de Julien corrige ce que Louis Malle n'a pas eu le temps, l'occasion ou la présence d'esprit d’accomplir à l'époque. Sa recherche d'indices sur l'identité de Jean (à la façon d'un enquêteur) peut être vue comme l'investigation que le réalisateur fait a posteriori sur son passé.

Dans la réalité, le jeune Jean Bonnet s'appelle Hans-Helmut Michel (6 juin 1930 - 6 février 1944) et il est resté environ un an dans le collège d'Avon, près de Fontainebleau. Il est arrivé dans cet internat quelques mois avant Louis Malle et son frère Bernard. Après son arrestation par la Gestapo (avec les autres enfants et le prêtre qui les quitte en disant simplement Au revoir) le 15 janvier 1944, il est envoyé à Drancy, puis déporté à Auschwitz. Le « Père Jean » du film a aussi existé. Il s'appelle Lucien Bunel, en religion Jacques de Jésus (29 janvier 1900 - 2 juin 1945). Pour avoir caché les trois enfants juifs dans le collège d'Avon, il est déporté au camp de concentration de Mauthausen. Il est mort une semaine après la libération du camp. Il est honoré à Yad Vashem en tant que Juste parmi les nations. Sa cause en béatification a été introduite à Rome en 1997. Aussi, Louis Malle n’aurait jamais pu se résigner à ce que le titre du film soit modifié : c’était pourtant ce qu’avait suggéré les distributeurs. Cet au revoir si simple, si déchirant, le réalisateur n’avait cessé, tout au long de son existence, d’en mesurer l’atroce dimension. Du reste, rien n’aurait pu être changé de l’épilogue. Malle l’avait retranscrit de mémoire, il demeurerait tel quel. « J’ai donc presque travaillé à reculons », déclarait-il. Lorsqu’il se mit à relire à Candice (Bergen), son épouse, et à Justine, sa fille, la première mouture de son scénario, les deux femmes fondirent en larmes. Le réalisateur comprit alors que son film toucherait sûrement un vaste public. Cependant, le réalisateur de Lacombe Lucien ne voulut pas qu’on réduise Au revoir les enfants à l’empathie qui se noue entre l’enfant catholique et l’enfant juif interprété par le petit-fils de l’historien d’origine hongroise François Fejtő, Raphaël. De la même manière que dans Lacombe Lucien ou Le Souffle au cœur, Louis Malle entendait livrer une radiographie mentale de l’époque : les préjugés de classe, l’empreinte d’une éducation puritaine, l’étroitesse d’esprit des liens familiaux. Le film contenait des éléments antécédents : les relations entre le fils et la mère Quentin renvoient au Souffle au cœur tandis que l’enfant orphelin Joseph aurait l’équivoque d’un Lacombe Lucien. «C’était l’une des sources du film », dira Louis Malle. On a vu, de prime abord, Au revoir les enfants comme un récit sur l’abomination nazie et une variation sur l’horreur de l’antisémitisme : cela était fondamental bien entendu. Raconté avec une vibrante sincérité et une pudeur insondable. Mais c’était également une observation, infiniment subtile et nuancée, sur la société française de ces temps-ci, et de la haute bourgeoisie en particulier. À priori, le projet n’allait pourtant pas de soi. Louis Malle apparut, aux yeux de certains, comme « un dinosaure qui veut à tout prix raconter son enfance. » Laissons le réalisateur rappeler le contexte historique qui, au bout du compte, servira heureusement Au revoir les enfants. « À la fin du tournage, lorsque nous montions le film, il y a eu le procès de Klaus Barbie. Il avait été arrêté en Amérique du Sud et ramené en France. C’était le plus grand criminel nazi de la période de l’Occupation. Le procès a soulevé une intense émotion et toute cette période est soudain revenue sur le devant de la scène [Ndlr : Nous rappellerons ici la responsabilité de l’ancien chef Sipo/SD de Lyon dans la rafle des 44 enfants juifs de la colonie d’Izieu (Ain)] ; Shoah (1985) de Claude Lanzmann est passé à la télévision et des millions de Français l’ont regardé. Quand je m’étais lancé dans ce film, les gens de cinéma pensaient que l’Occupation était une histoire qui remontait au Déluge ; ils avaient décidé que c’était terminé et qu’on n’en reparlerait plus. Incontestablement, le procès Barbie a remis la question sur le tapis, surtout pour les jeunes. C’était très émouvant, on voyait à la télévision ces résistants très âgés qui racontaient comment on les avait torturés et déportés. Ils ne cherchaient pas à se venger ; ils réclamaient justice. Mon film s’est donc brusquement trouvé en pleine actualité. En plus, deux semaines avant sa sortie, cet imbécile de Le Pen s’est débrouillé pour faire une de ses stupides gaffes. Il a dit que l’holocauste était un détail, ce qui a déclenché, bien entendu, une tempête de protestations. » [In : Conversations avec ... Louis Malle. Philip French, Denoël.] Au revoir les enfants constituait, en même temps, une cinglante réponse à ceux qui reprochèrent quelque ambiguïté à Lacombe Lucien, réalisé douze ans auparavant. L’ambiguïté n’était pas tant du côté de Louis Malle que du côté de la société française. Et c’était cette ambiguïté (ou ce mal) que cherchait à ausculter le réalisateur.

Msh