Écran 2024 (VI b)
. Une famille (Christine Angot, 2023) :
« Finalement, en me violant, il m’a privé de père. »
La romancière Christine Angot, rendue célèbre avec la publication de « L’Inceste » (1999), œuvre à caractère très autobiographique, revient sur un tel drame, mais cette fois-là, au cinéma. Autrice de plus d’une vingtaine d’ouvrages, Mme Angot réalise donc son premier film.
« L’Inceste » défraya autrefois la chronique. Il eut autant de partisans que de détracteurs. Le récit s’ouvrait sur la confession de la narratrice : celle d’une liaison homosexuelle d’abord, mais surtout, à partir d’elle, la traumatisante levée mémorielle d’un inceste commis par son père. Dès l’orée du roman, Christine Angot cite régulièrement Hervé Guibert et son roman « À l’ami qui ne m’a pas sauvé la vie » (1990) métafiction autant qu’autofiction d’amours homosexuelles trahies - au masculin cette fois-là - à l’ombre de la maladie incurable, le sida en l’occurrence.
« À toutes fins utiles, écrit Jacques Mandelbaum pour « Le Monde » du 20 mars, s’agissant d’une personnalité aussi controversée que Christine Angot, posons ce propos liminaire utile à la compréhension du film. Née Christine Schwartz, à Châteauroux, en 1959, d’une mère juive et d’un père catholique qui abandonne celle-ci et ne reconnaît pas sa fille avant l’âge de 13 ans. C’est à cette date que Pierre Angot se met à violer l’adolescente. Retournant à Strasbourg, la ville du viol, dans le cadre d’un voyage promotionnel, Madame Angot embarque Caroline Champetier - magnifique chef-opératrice -, dont la tâche ici se complique d’être le témoin et le soutien de la romancière lancée, par la voie du cinéma cette fois, dans une nouvelle tentative de reformulation du malheur qui l’a partiellement détruite.»
On n’entrera pas ici dans la relation de ce « home movie » qui passe la famille de Christine Angot au crible de ce crime et du refus d’en reconnaître la réalité.
La romancière raconte la tentative faite à Strasbourg pour revoir l’épouse de son père.
J. M (Jacques Mandelbaum) : Elle s’oppose physiquement à cette intrusion et au fait d’être filmée, vous forcez l’entrée, et la confrontation a lieu. Ce que vous tentez de lui extorquer, en vérité, ce sont les raisons de son silence. Ne pensez-vous pas toutefois qu’on doive vivre avec l’idée qu’autrui puisse n’être pas concerné par notre malheur ?
Christine Angot : Mais j’ai passé ma vie à le faire ! Il faut parfois de la violence, y compris au cinéma, pour faire bouger les choses. Ce que je fais, littéralement, dans cette scène, c’est que j’empêche que la porte se referme une nouvelle fois pour on ne sait combien d’années. Je fais donc ça parce que j’estime qu’il y a des choses à comprendre et, plus important encore, à transmettre. J’en ai assez qu’on invoque l’omerta autour de l’inceste. Ben non ! C’est plus élaboré que ça : les gens ne veulent pas savoir. Ils s’arrangent pour mettre des murs, comme pour « La Zone d’intérêt » le film de Jonathan Glazer.
J. M : La question juive, puisque vous l’évoquez, ne vous est pas indifférente. Rachel Schwartz, votre mère, est juive. Elizabeth Weber, la femme de votre père, est allemande, et vous lui demandez réparation. Cela revient-il à dire, pour vous, qu’une tragédie collective se profile derrière votre tragédie personnelle ?
Christine Angot : Oui, bien sûr. J’ai déjà parlé de tout cela dans « Un amour impossible », roman publié en 2015. Ce que je pense, c’est que les tragédies personnelles ne sont jamais personnelles. Mon père, dont on peut dire qu’il n’était pas particulièrement philosémite, n’a jamais épousé ma mère, enceinte, juive issue d’un milieu modeste dans une petite ville de province, et a refusé pendant treize ans de me reconnaître. Quelques années plus tard, il a épousé cette femme allemande, issue d’un milieu bourgeois et, finalement, en me violant, il m’a privé de père.
[Propos recueillis pour « Le Monde »]
« Cela ne me lâchera jamais cette affaire ! C’est pour la vie. C’est pourquoi on appelle ça tragédie. C’est pourquoi les auteurs de la tragédie antique s’y sont intéressés. Parce que c’est un principe de destruction de l’être. Qui ne peut être réparé, ni l’inceste cessé d’avoir eu lieu. Mais on peut le regarder, en face. » [Christine Angot à Anne Diatkine et Sonya Faure, « Libération » du 20 mars]
~ Une Famille (2023). France, 81 min. Documentaire. Sortie ce 20 mars 2024.