Blue Velvet [1986 - États-Unis, 120 min. C] R. Sc. David Lynch. Ph. Frederick Elmes. Mus. Angelo Badalamenti. Mont. Duwayne Dunham. Déc. Patricia Norris. Cost. Gloria Laughride. Prod. Fred C. Caruso, De Laurentiis, Enterntainement Group. I. Kyle MacLachlan (Jeffrey Beaumont), Isabella Rossellini (Dorothy Vallens), Dennis Hopper (Frank Booth), Laura Dern (Sandy Williams), Hope Lange (Mme Williams), Dean Stockwell (Ben), George Dickerson (le détective Williams), Priscilla Pointer (Mme Beaumont), Jack Harvey (Tom Beaumont), Frances Bay (la tante Barbara), Ken Stovitz (Mike), Brad Dourif (Raymond). 

~ Lumberton (Caroline du Nord), banlieue américaine sans histoires. Le ciel est beau et les pelouses de jardins impeccables. M. Beaumont (Jack Harvey) arrose la sienne et s'écroule. Sur la route de l'hôpital, son fils Jeffrey (K. MacLachlan) découvre une oreille humaine infestée de fourmis. La police mène l'enquête. Jeffrey en fait de même. Sandy (Laura Dern), fille de l'inspecteur de police Williams (Dickerson) et dont la chambre est au-dessus du bureau de son père, explique que l'oreille a un lien avec une chanteuse nommée Dorothy Vallens (Rossellini). 

Quatrième LM de David Lynch, Blue Velvet arrive après deux films en noir et blanc (Easerhead en 1977 et Elephant Man en 1980) et l'échec de Dune (1984). Dans ce film ultra personnel - le réalisateur signe seul mise en scène, scénario et dialogues - David Lynch pose les jalons de ce que deviendra son œuvre et signe un film devenu à la fois classique et objet de culte. Immersion dans une petite bourgade américaine vivant du commerce du bois (avant-goût de la scierie de Twin Peaks, 1992), concentré de rêve américain : jardins pimpants, barrières blanches immaculées, ciel bleu azur, pelouses vert chlorophylle... Les couleurs sont criardes dans une sorte d'hyperréalisme kitsch. Mais cette Amérique moyenne et puritaine, dont Lynch est un pur produit, recèle, quand on cherche un peu, un monde sombre et pervers, où la violence côtoie le crime. Enquêteur par hasard (ou par voyeurisme), Jeffrey Beaumont est plongé dans un monde qui lui est complètement étranger : incarnation du WASP de l'Amérique des années 1950, c'est un homme innocent à la vie tranquille. Les personnages qu'ils rencontrent, tous à la limite du surréalisme, permettent à Lynch de dresser une galerie de portraits exceptionnelle, incarnés par des acteurs transcendés. Isabella Rossellini, alors âgée de 33 ans, incarne une troublante chanteuse, victime sadomaso, objet sexuel du terrifiant Frank Booth (D. Hopper). Ce tortionnaire sociopathe à la limite de la démence, se shoote à l'oxygène, pleure, mâchouille des robes, alterne les rôles de "bébé" et "papa" lorsqu'il est avec Dorothy... Entre deux mondes, l'un plaisant et l'autre terrifiant, Jeffrey de démène, tombe sous le charme de Dorothy, la brune vénéneuse, mais aussi de Sandy, la blonde rassurante et conventionnelle. La mise en scène de Lynch oscille alors entre scènes de jour, scènes de vie normale, où les discussions avec Sandy sont presque banales, et les scènes de nuit très stylisées, chez Dorothy et au sein de son univers interlope. Sadisme, violence, sexe, mutilation, meurtre... Autant de passages obligés pour Jeffrey Beaumont avant de retrouver une vie paisible auprès de Sandy, résumant ce cauchemar par un simple : « It's a strange world ». Plasticien de talent, Lynch met en place son univers, que l'on qualifiera de Lynchland, mélangeant l'ambiance des fifties et le monde contemporain afin de faire perdre au spectateur ses repères. C'est aussi dans ce film que le réalisateur intègre à ce point la musique à son monde. Lynch dira que Blue Velvet est une « histoire d'amour et de mystère. » Michel Chion de confirmer : « Dans Blue Velvet, tout a un sens dynamique de vie, il y a réellement partout de l'amour, et c'est aussi ce qui est effrayant. » [D. Lynch, Cahiers du cinéma] (Source : Grand Lyon, Film Festival Lumière 2014). 

 

Bonnie and Clyde [1967 - États-Unis, 110 min. C] R. Arthur Penn. Sc. David Newman, Robert Benton. Ph. Burnett Guffey. Mus. Charles Strouse. Chanson : Rudy Vallée, Deep Night. Déc. Dean Tavoularis. Cost. Theadora Van Runkle.  Mont. Dede Allen. Prod. W. Beatty. Tattira/Hiller. Warner. I. Warren Beatty (Clyde Barrow), Faye Dunaway (Bonnie Parker), Michael J. Pollard (C.W. Moss), Gene Hackman (Buck Barrow), Estelle Parsons (Blanche Barrow), Dub Taylor (Malcolm Moss), Gene Wilder (Eugene Grizzard), Denver Pyle (Frank Hamer), Evans Evans (Velma Davis). 

~ Texas, années 1930 au cours de la Grande Dépression. La rencontre d'une serveuse, Bonnie Parker (Faye Dunaway) et d'un malfrat Clyde Barrow (Warren Beatty). Ils forment un groupe de gangsters qui se spécialisent dans les hold-up de banques et de magasins...

Basé sur l'histoire authentique d'un couple de gangsters célèbres, Clyde Chestnut Barrow (né en 1909) et Bonnie Elizabeth Parker (née en 1910), tous deux tués lors d'une embuscade policière, au printemps 1934 en Louisiane. L'odyssée de ces deux jeunes hors-la-loi - au moment de leur rencontre, Bonnie n'avait pas 20 ans et Clyde allait avoir 21 ans - défraya la chronique et toute une légende se mit alors en place. Le réalisateur William Nuelsen Witney en fit une première adaptation cinématographique. Elle sortit en 1958 sous le titre The Bonnie Parker Story (non distribué en France). Réalisé par l'AIP (American International Pictures), le film fut diffusé en double programmation avec Mitraillette Kelly de Roger Corman, inspiré par la vie d'un autre gangster célèbre, George R. Kelly joué par Charles Bronson. L'affiche de Bonnie Parker Story représentait l'«héroïne» et, en effet, comme le laisse penser le titre, c'est Bonnie Parker qui était mise en relief. Jacques Lourcelles confirme, à sa façon, le caractère diablement féministe de cette première transposition du mythe Bonnie and Clyde. Il écrit : « Bonnie y apparaissait comme une véritable furie libertaire [incarnée par Dorothy Provine (1935-2010)], méprisant les hommes de son entourage (son mari et ses amants), les menant à la baguette par son astuce, sa détermination, son audace. » (op. cité) L'œuvre de Witney, moins soignée plastiquement, fascinait surtout par sa nervosité, son audace d'esprit et son aspect crépusculaire. Le film d'Arthur Penn gagne en beauté visuelle et en richesse narrative ce qu'il perd en hargne et en culot. Arthur Penn s'est intéressé à ce couple d'éclopés avec une certaine tendresse et une très grande liberté de ton : leur immaturité et leurs névroses font l'objet de toute son attention et, conformément à l'esprit d'une époque - celle du film évidemment -, il en fait un couple anarchisant en révolte contre la société américaine et ses incohérences. Et, enfin, rappelons-le, une fois encore, il s'agit d'un couple extrêmement jeune, à peine sorti de l'adolescence. Son insubordination entre en écho avec toutes les contestations juvéniles contemporaines à l'endroit du puritanisme et du conformisme social en vigueur. À l'origine de Bonnie and Clyde, se trouve d'ailleurs l'ouvrage de l'historien John Toland, The Dillinger Days qui narre l'histoire de Bonnie Parker et Clyde Barrow. Les scénaristes Robert Benton et David Newman, âgés respectivement de 35 et 30 ans au moment du tournage, décident de l'adapter, en premier parce que l'histoire de ces gangsters est légendaire dans l'Est du Texas, dont est originaire Benton (les enfants s'y déguisent en Bonnie et Clyde pour Halloween, par exemple) mais aussi parce qu'ils sont séduits par l'aspect rebelle du couple qu'ils trouvent proche de la mentalité des générations montantes de la fin des années 1960. Le film sort en France le 8 novembre 1967, quelques mois avant les événements de mai-juin 1968. Le film d'Arthur Penn connaît, de fait, un succès public considérable et devient un film-culte du Nouvel Hollywood. À dire vrai, le film d'Arthur Penn n'est guère plus osé que ceux d'Elia Kazan son prédécesseur. Les séquences piquantes sur la sexualité et la virilité - Bonnie testant celle de Clyde à travers l'efficacité de son arme à feu et sa capacité à s'en servir - semblent à présent bien convenues. En deuxième lieu, on peut trouver esthétisante voire complaisante sa représentation de la violence, en particulier dans la séquence finale. On retiendra surtout l'interprétation des deux acteurs principaux. En particulier celle de Faye Dunaway : mélange d'insoumission et d'attendrissement, de frustration sexuelle et d'amour passionné tout autant.

 

Borinage (Misère au Borinage) [1934 - Belgique, 36 min. N&B] R. Sc. et Ph. Henri Storck et Joris Ivens. Mont. Helen Van Dongen. Mus. Hans Hauska. Documentaire muet à l'origine.  

~ Le Borinage - sur une carte de la première moitié du XVIIIe siècle, la région située au Sud de Mons, chef-lieu du Hainaut (Wallonie), est décrite comme le « bourrinage d'où l'on tire le charbon de terre. » (sic) - a été, longtemps durant, une contrée dont l'économie reposait essentiellement sur l'extraction du charbon. Les habitants du Borinage n'ont jamais tiré aucun avantage immédiat de cette exploitation. En 1993, l'écrivain et historien Jean Puissant décrivait la population boraine comme un prolétariat « misérable, mal payé, en butte aux accidents du travail et aux abus du libéralisme intégral. » [J. Puissant, L'évolution du mouvement ouvrier socialiste dans le Borinage, Bruxelles, 1993]. Tout au long du XIXe siècle puis au siècle suivant, le Borinage demeure un foyer d'agitation permanent. Les grèves éclataient tels des « mouvements de désespoir spontanés. » (J. Puissant, op. cité) Ici, les travailleurs sont livrés à eux-mêmes, sans espoir d'ascension sociale. Aussi, ne faut-il guère s'étonner que le Borinage devienne un des berceaux de la pensée socialiste. Le POB (Parti Ouvrier Belge) y est fondé en avril 1885. Le congrès inaugural eut lieu à Bruxelles, au café Le Cygne où Karl Marx avait donné une conférence. Au cours des années 1840, l'auteur du Capital avait grandement contribué aux côtés d'autres intellectuels et artisans à l'éveil de la conscience ouvrière en ce pays. Henri Storck (1907-1999), grand documentariste belge d'origine flamande, et Joris Ivens, le « Hollandais volant », entreprennent une enquête au Borinage, à la suite d'une longue et dure grève des mineurs de la région. Lorsque Henri Storck revient en Belgique de son séjour en France où il a travaillé comme assistant pour Jean Grémillon et comme assistant et acteur pour Jean Vigo, les grèves viennent de s'abattre sur le Borinage. Denis Marion, André Thirifays et Pierre Vermeylen, animateurs du Club de l'Écran (ancêtre de la Cinémathèque royale de Belgique qu'ils fonderont quelques années plus tard) demandent au cinéaste de coréaliser avec Joris Ivens un film engagé sur les conditions de vie difficiles du prolétariat borain. Le film fut longtemps interdit et, comme pour Histoire du soldat inconnu (réalisé par Storck un an plus tôt), n'a été sonorisé que trente ans plus tard. Le film fut réalisé dans des conditions extrêmes - cela se ressent et ses imperfections ne lui ôtent nullement sa valeur de témoignage exceptionnel. La gendarmerie belge n'a jamais cessé de traquer les deux réalisateurs. On songe au Sel de la terre, tourné quasiment vingt ans plus tard au Nouveau-Mexique par l'Américain black-listé Herbert J. Biberman. Un grand nombre de scènes furent prises en direct : une forme de cinéma-vérité. D'autres durent être reconstituées. Fait extraordinaire : les deux auteurs avaient organisé, avec des figurants borains, une manifestation de mineurs marchant derrière un portrait de Karl Marx. La gendarmerie prit cette scène de cinéma pour une vraie manifestation et intervint pour la disperser, ce que la caméra de Storck et Ivens filme également. Misère au Borinage fut le premier documentaire de cette importance, excepté l'Espagnol Terre sans pain (Las Hurdes, tierra sin pan) de Luis Buñuel, tourné en 1932 en Estrémadure, mais interdit par la censure franquiste. 

- Œuvres réalisées avec les épreuves de tournage du film : Autour du Borinage, de Jean Fonteyne (1933-1936) ; À chacun son Borinage, Images d'Henri Storck, de Wieslaw Hudon (1978). 

 

 

Boudu sauvé des eaux. [1932 - France, 85 minutes. N&B] R. Sc. Adaptation et dialogues : Jean Renoir d’après la pièce de René Fauchois. Assistants : Jacques Becker, Georges Darnoux. Ph. Marcel Lucien. Déc. Jean Castanier, Hugues Laurent. Scripte-girl. Suzanne de Troye. Mont. Marguerite Renoir, S. De Troye. Tournage : été 1932, studios d'Épinay-sur-Seine et en extérieurs à Chennevières-sur-Marne, sur les quais de la Seine, quai de Conti et sur le pont des Arts à Paris. Pr. Société Sirius (Films Michel Simon). Jean Gehret, Marcel Pelletier. I. Michel Simon (Boudu), Charles Granval (Lestingois), Marcelle Hainia (sa femme, Emma Lestingois), Séverine Lerczinska (Anne-Marie), Jean Dasté (l’étudiant), Max Dalban (Godin), Jean Gehret (Vigour), Jacques Becker (le poète sur le banc), Georges Darnoux (un invité à la noce).

~ Le clochard Boudu (Michel Simon), bouleversé par la mort de son chien, se jette dans la Seine au pont des Arts. Un libraire nommé Édouard Lestingois (Charles Granval) assiste heureusement à ce geste désespéré et saute à son tour dans le fleuve. Il parvient à le ramener vers sa boutique à l’aide d’un sauveteur. Boudu reprend vie. Il s’installe pour un temps chez Lestingois au grand déplaisir de sa servante Anne-Marie...

. « Aucun film peut-être n’a fait corps à ce point avec son acteur principal », affirme Jacques Lourcelles. C’est qu’en effet Michel Simon s’était emparé du rôle de Boudu lors de la troisième reprise de la pièce de René Fauchois au Théâtre des Mathurins le 30 mars 1925. Lorsqu’elle fut créée à Lyon au Théâtre des Célestins (un 14 juillet 1919), Fauchois s’était adjugé un rôle - celui du libraire voltairien - qu’il voulait principal. Michel Simon transcenda l’incarnation de Boudu et celui-ci devint le clou du spectacle. Aussi, est-il juste de dire que l’inspirateur et le producteur de ce film ne peut être que Michel Simon lui-même. Jusqu’à son dernier jour, Michel Simon resta ce râleur et cet homme foncièrement libertaire qu’est Boudu. Il déclarait, lors de sa dernière apparition au petit écran, dans l’émission L’Invité du dimanche : « J’ai voué une haine à la société, qui s’éteindra avec moi. » Ne disait-il pas également : « J’apprends de Boudu qu’une des attitudes à prendre vis-à-vis de la société, c’est de la vomir » ? « Malgré sa barbe de dieu fluvial, Boudu au cœur tendre est un enfant impulsif. Ayant éclaboussé l’appartement de son bienfaiteur (le libraire Lestingois, brave homme confit d’égoïsme bourgeois), ne pensant qu’à son bon plaisir, les règles du savoir-vivre et leurs contraintes le mettent en joie », écrivent Olivier Barrot et Raymond Chirat [In : Ciné-Club, Flammarion, 2010]. Quoi qu’il en soit, la complicité entre Jean Renoir et Michel Simon fut si éclatante que Boudu sauvé des eaux est autant, et pour l’un et pour l’autre, une œuvre révélatrice. Renoir sortait d’une période de désarroi amoureux attestée par des films comme La Chienne (1931, toujours avec Michel Simon) et La Nuit du carrefour (1932). Renoir n’est donc plus éloigné de l’état d’esprit d’un Michel Simon. On aura donc une comédie. Cependant, le ton ne sera pas celui du vaudeville, celui de René Fauchois. La rupture sera rapidement consommée. Le troisième acte de M. Fauchois, totalement boulevardier et tiré par les cheveux, est transfiguré par Renoir et Michel Simon. Claude-Jean Philippe écrit : « Il nous faut alors admirer, une fois de plus, la richesse de vie intérieure que Michel Simon réussit à faire passer à travers un demi-sourire un peu crispé. Le voilà embarqué - au sens propre - dans un canot sur la Marne, où la noce a pris place. Pour la première fois de sa vie, Boudu s’ennuie. Sa pensée ne coïncide plus avec le flot mouvant de la durée, et encore moins avec le génie de l’instant. M. Lestingois prononce un discours en l’honneur de Priape-Boudu et de Chloé-Anne-Marie, laquelle sourit aux anges sur l’épaule solide de son époux. Une fleur de nénuphar apparaît à la surface de l’eau. Boudu se penche, avec l’intention de le cueillir, mais il y met tant de conviction que l’embarcation chavire. » (Cl.-J. Philippe, Jean Renoir. Une vie en œuvres. Grasset, 2005). Je vous laisse deviner l’épilogue. En janvier 1952, André Bazin le décrit ainsi : « Le véritable objet de l’image cesse peu à peu d’être les intentions de Boudu pour devenir le spectacle de son plaisir, c’est-à-dire du plaisir que prend Jean Renoir, l’auteur de La Fille de l’eau (1925), à celui de son héros. L’eau n’est plus de “de l’eau”, mais précisément l’eau de la Marne au mois d’août, jaune et glauque. Michel Simon y fait la planche, se retourne et souffle comme un phoque. Il jouit de cette eau dont nous percevons peu à peu la qualité, la profondeur et la tiédeur même... » Là, en revanche, nul doute que le génie du fils d’Auguste Renoir, le peintre des Canotiers à Argenteuil, s’impose avec une évidence indubitable. Claude-Jean Philippe cite alors une phrase de Paul Claudel : « L’eau est le regard de la terre, l’appareil à regarder le temps. » (In : L’Oiseau noir dans le soleil levant, 1929). Boudu sauvé des eaux c’est l’expression quasi instinctive de Jean Renoir (et, en grande partie de Michel Simon), c'est-à-dire des aspects de sa personnalité essentielle : la joyeuse nonchalance, l’esprit libertaire et irrévérencieux, la rêverie poétique, la fascination pour la nature et pour l’eau (celle d’un Maupassant).

Remake peu convaincant de Gérard Jugnot en 2004 (Boudu) malgré la présence criarde de Gérard Depardieu au générique. 

 

Bourreau (Le(El verdugo) [1963 - Espagne, Italie, 90 min. N&B] R. Luis García Berlanga. Sc. Rafael Azcona, L. García Berlanga, Ennio Flaiano. Ph. Tonino Delli Colli. Mus. Miguel Asins Arbó. Mont. Alfonsa Santacana, Alicia Castillo. Pr. Nazario Belmar, Naga Films, Zebra Films. I. Pepe Isbert (Amadeo), Nino Manfredi (José Luis), Emma Penella (Carmen), José Luis López Vásquez (Antonio Rodriguez), Ángel Álvarez  (Álvarez), Guido Alberti (le directeur de la prison).

~ José Luis (Manfredi) est fossoyeur, une profession qui fait fuir les dames. Il rencontre un jour Amadeo (Pepe Isbert), un bourreau aux allures paisibles. Celui-ci lui présente sa fille Carmen (Emma Penella) qui, à cause du métier de son père, n'a guère de succès auprès des hommes. Carmen plaît à José Luis qui la met enceinte. Ils s'épousent et s'installent dans l'appartement que l'administration judiciaire accorde à Amadeo. Toutefois, ce dernier se trouve au seuil de la retraite. L'unique solution est que le jeune fossoyeur hérite de la charge de son beau-père et se transforme en bourreau...   

Luis García Berlanga (1921-2010) fut un des rares réalisateurs espagnols, avec Juan Antonio Bardem, à secouer, en son temps, la léthargie dans laquelle se morfondait la cinématographie locale. ¡Bienvenido, Mr Marshall! (1952), son premier LM auquel fut associé Bardem au scénario, déclencha sûrement l'éveil d'une vision critique à l'endroit du régime instauré par le caudillo Franco. Dans ce film, on y goûtait une ironie percutante et acide qui deviendra la marque de fabrique de son auteur. Là, déjà, on appréciait tout autant l'inimitable truculence de José alias Pepe Isbert (1886-1966) qui jouera, en tant que vieillard débonnaire, dans quatre films de Berlanga dont celui-ci. On notera également la présence au scénario de Rafael Azcona que Berlanga retrouvera régulièrement par la suite. Une part de cette veine corrosive et géniale doit être attribuée à Azcona qui, du reste, collaborera avec l'Italien Marco Ferreri : d'abord, en Espagne justement, dans El pisito (1959), adapté de son propre roman, et El cochecito (1960) ; plus tard, en Italie [La donna scimmia/Le Mari de la femme à barbe (1963) et L'ape regina/Le Lit conjugal (id.)] et enfin en France [Touche pas à la femme blanche (1974) ; La Dernière Femme (1976)].  

Rappelons ici quelques faits historiques : la peine de mort - désormais abolie depuis la Constitution de 1978, laquelle décision est confirmée par la loi organique de 1995 - avait été en vigueur en Espagne jusqu'en 1932. La Seconde République l'avait supprimée en adoptant un nouveau Code pénal. Suite à l'instauration du régime fasciste, elle fut de nouveau rétablie. On reprit les usages du monarque Charles III qui avait interdit la peine de mort sur l'échafaud lui préférant le garrot (un lacet étrangleur). Une méthode qui remontait aux temps de l'Inquisition voire de l'Antiquité. Le mécanisme du garrot, dans sa forme la plus évoluée, consistait en un collier de fer percé d'une vis se terminant par une sphère qui, lorsqu'elle était tournée, était censée briser la nuque du condamné. La mort du détenu était alors produite par la dislocation de l'apophyse odontoïde et de la première vertèbre cervicale. C'est ainsi que fut mis à mort le jeune Salvador Puig i Antich, un militant anarchiste catalan, la dernière victime de ce supplice moyenâgeux, exécutée en mars 1974. On comprendra la réaction de l'Espagnol moyen lorsqu'il se trouve face à la personne chargé de garrotter. Il s'en détourne, ce qui ne signifie nullement qu'il condamne le principe de la peine de mort. C'est un peu ce qu'est José Luis (Nino Manfredi) avant d'être confronté à une telle perspective. Du reste, les fonctionnaires-bourreaux n'étaient pas nombreux, ils n'excédaient guère la dizaine de personnes ! À qui donc auraient pu songer Berlanga et son scénariste Azcona qui, à leur façon, et, à travers les répliques d'Amadeo, dénoncent la banalité du malPuisque la peine existe, il faut bien quelqu'un pour l'appliquer », rétorque le bourreau). Aborder le sujet était, en tout état de cause, fort courageux. Non seulement en lui-même, mais aussi parce qu'il revêtait un caractère métaphorique. Et, ensuite, parce qu'oser attaquer un pareil système, c'était s'exposer à l'enfermement. La censure exerça la pression attendue pour en interdire toute projection. Or, comme il s'agissait d'une coproduction avec l'Italie, on ne put en empêcher l'invitation à la Mostra de Venise où il remporta un succès d'estime et le prix de la critique. Comme l'écrit Violeta Kovacsics, « le contexte du film est celui du développement espagnol, des immeubles tout neufs, des débuts du tourisme à Majorque et des mariages précipités. Un paysage qui se brise avec le personnage interprété par Isbert (le bourreau) : l'Espagne catholique du soleil et de la famille était aussi celui de la potence. » (In : Le Cinéma espagnol, Éd. Gremese, 2011). Autrement dit : l'Espagne franquiste côté jardin et côté cour. L'anachronisme n'aurait pu se prolonger indéfiniment : les neuves générations - bourgeoises ou prolétaires - n'auraient pu le supporter. « S'il faut évoquer une image du Bourreau, conclut Violeta Kovacsics, c'est celle de la cour blanche (tournée en un large plan d'ensemble, en plongée) à travers laquelle les gardes entraînent José Luis, évanoui et défait, vers l'échafaud. Avec ce plan-séquence inégalable, Azcona et Berlanga font d'un innocent personnage une victime des plus obscurs mécanismes de l'État - un paradoxe qui leur conféra l'immortalité cinématographique. » (op. cité).  

 

Brève rencontre (Brief Encounter) [1945 - Royaume-Uni, 86 min. N&B] R. David Lean, assistant : George Pollock. Sc. D. Lean, Ronald Neame d'après la pièce de Noël Coward, Still Life tirée du recueil Tonight at 8 : 30. Ph. Robert Krasker. Mus. Sergueï Rachmaninoff (Concerto pour piano et orch. n° 2). Mont. Jack Harris. Pr. Cineguild - N. Coward, Anthony Havelock-Allan, R. Neame. I. Celia Johnson (Laura Jesson), Trevor Howard (Dr. Alec Harvey), Stanley Holloway (Albert Godby), Joyce Carey (Myrtle Bagot), Cyril Raymond (Fred Jesson). Palme d'Or festival de Cannes 1946.

~ Hiver 1938-39. Une femme mariée et mère de deux enfants, Laura Jesson (C. Johnson), se remémore en voix off une brève liaison amoureuse vécue avec un médecin, Alec Harvey (T. Howard), rencontré à Milford où elle vient faire, le jeudi, ses courses et assister, en matinée, à des séances de cinéma. Après un peu plus d'un quart d'heure, intervient un flash-back. On la voit donc rentrer chez elle après une de ses virées hebdomadaires. Sur le quai de la gare, elle reçoit une particule à l'œil : un passager la lui extirpe. Il est médecin-généraliste et, tout comme elle, âgé d'une quarantaine d'années, marié et père de deux enfants. Après cette prime rencontre, ils se revoient accidentellement dans un restaurant surchargé. Ils déjeunent en tête-à-tête. Ils s'apprécient mutuellement et se donnent rendez-vous. Leur sympathie réciproque va se transformer en un sentiment plus profond... 

Les films de David Lean (1908-1991) sont sans doute plus célèbres - Le pont de la rivière Kwaï (1957) ; Lawrence d'Arabie (1962) ; Docteur Jivago (1965) - que lui-même. Très féru de cinéma, il travailla gratuitement un mois durant pour les Studios Gaumont. Il signe son film inaugural aux côtés du dramaturge et scénariste Noël Coward (1899-1973), souvent comparé au Sacha Guitry français (In Which We Serve, 1942). Il continuera d'adapter ses pièces avec This Happy Breed (1944) et Blithe Spirit (1945). Brief Encounter (Brève rencontre) l'est aussi. Il s'agit néanmoins de sa première œuvre personnelle. En transposant Still Life à l'écran - que l'on peut traduire comme Vie tranquille mais aussi comme Nature morte -, David Lean a su rendre l'atmosphère et l'esprit d'une époque. Faut-il néanmoins présenter son film comme «l'archétype de la moralité petite-bourgeoise britannique» ? N'en est-il pas le reflet plutôt que l'expression ? En second lieu, placé dans un cadre réaliste, la structure intensément romantique de Brief Encounter en a certainement désarçonné plus d'un. Le réalisateur a rendu à l'écran ce que la pièce mettait entre parenthèses et y ajouté ce que le récit lui-même aurait dû comporter nécessairement. Le film n'aurait pu se dérouler, ainsi que Still Life, dans un huis clos : le terne et banal buffet de gare de Milford. Henri Langlois aura cette formule : « Le train de Night Mail [ndlr : film de l'École documentaire anglaise dû à Harry Watt et Basil Wright et datant de 1935] roule encore dans Brief Encounter ! » Du reste, en attribuant la Palme d'Or au film de David Lean, le jury du festival de Cannes 1946 voulut honorer une œuvre qui donnait le signal d'un renouveau du cinéma britannique. Il serait injuste de ne pas mentionner ici la prestation remarquable des deux principaux interprètes : Celia Johnson d'abord et Trevor Howard ensuite. « Trevor Howard a capté le tempo parfait de ses scènes successives, et Celia Johnson impose avec une grâce émouvante le passage de l'aventure entrevue dans l'existence égale d'une dame des banlieues bourgeoises. » (R. Boussinot, op. cité). 

Une grande partie du film a été tournée à la gare de Carnforth dans le Lancashire. Certaines des scènes urbaines ont été tournées à Londres, à Denham Studios et à Beaconsfield. Le pont de campagne que les amoureux visitent à deux reprises, y compris lors de leur dernier jour, est le Middle Fell Bridge au Dungeon Ghyll dans la région de Cumbria. 

 

Bubu de Montparnasse (Bubù) [1971 - Italie, 97 min. C] R. Mauro Bolognini. Sc. Giovanni Testori, M. Di Nardo, M. Bolognini d'après le roman de Charles-Louis Philippe. Ph. Ennio Guarnieri. Mus. Carlo Rustichelli. Chansons : Écoutez la chanson d'après le poème de Paul Verlaine (Léo Ferré) ; Ascolta la canzone Giorgio Gaber ; La maestra di mandolino Micalizzi, L. Proietti. Mont. Nino Baragli. Déc. et cost. Piero Tosi, Gabriella Pescucci. Direction artistique: Guido Josia. Prod. Manolo Bolognini. I. Massimo Ranieri (Piero), Ottavia Piccolo (Berta), Antonio Falsi (Bubù), Luigi Proietti (Giulio), Gianna Serra (Bianca).

Après le magnifique Metello (1970), inspiré du roman de l’écrivain florentin Vasco Pratolini, Mauro Bolognini tourna Bubù, librement adapté de Charles-Louis Philippe (1874-1909) et de son Bubu de Montparnasse, publié en 1901. Le réalisateur dirigeait, à nouveau, en tant qu’acteurs principaux, Ottavia Piccolo, dans le rôle de Berta, et Massimo Ranieri dans celui de l’étudiant Piero. Bubù, l’ouvrier-boulanger devenu souteneur, était en revanche incarné par un inconnu, le bel Antonio Falsi, « un jeune homme aimable et sympathique mais qui n’avait pas d’affinités avec le métier d’acteur », dira Ottavia Piccolo. Bolognini n’avait pu compter sur Gian-Maria Volontè, retenu ailleurs. En second lieu, Massimo Ranieri, pourtant proche du rôle, refusa de l’incarner et exigea de jouer le « bon » rôle, celui de l’étudiant Piero. De fait, l’héroïne ce sera Berta. Et le film aurait pu se nommer Berta. Car, et ce n’était guère surprenant chez Mauro Bolognini et chez Charles-Louis Philippe, la condition de la femme et, à travers celle-ci, l’exploitation de son corps, en tant que marchandise, en constituait le thème central. Dans Metello, la fleuriste Ersilia, l’épouse du maçon joué par Massimo Ranieri, y occupait déjà une place remarquée. Du reste, Ottavia Piccolo obtint un Prix d’interprétation féminine à Cannes. Toutefois, elle n'aurait pu prendre la place centrale dans un récit marqué essentiellement par l'initiation sentimentale et l'apprentissage politique d'un jeune rural devenu ouvrier. Le réalisateur a ressenti sans doute le besoin de modifier la perspective. Mais il ne s'est pas éloigné du décor historique. Nous sommes encore à cheval entre deux siècles.
Vasco Pratolini et Charles-Louis Philippe parlaient pour les humbles, les méprisés. Cependant, tous deux n’offraient pas une identique vision du monde. Il faut donc envisager les deux films tout à la fois conjointement et séparément. Ils forment les deux versants paradoxaux d’un monde et d’une époque. Bolognini qui avait tourné Metello à Florence ne pouvait, en raison d’impératifs de production, tourner, comme il l’aurait désiré, à Paris. Ce film fut, pour moi, une « épine dans le cœur », avoua-t-il plus tard à Jean Antoine Gili. Il imagina donc une cité italienne indéfinie, mais il ne cessa pas d’oublier que l’origine du sujet se trouvait en France, à Paris essentiellement. Bien des séquences, aux antipodes d'un formalisme trompeur, nous ramènent aux descriptions accablantes du romancier français. Il y a certes de la France dans cette Italie que Bolognini recomposait entre Turin, Milan… et Rome. Ottavia Piccolo décrit cette situation ainsi : « La scène initiale du film se déroule dans un lavoir, où Berta travaille en compagnie d’une multitude de collègues. Il s’agissait d’un vrai lavoir qui se trouvait à Rome, près du Janicule, et nous avons tourné en plein été, avec une chaleur asphyxiante. Dans le film, Berta salue ses camarades et sort dans la rue : sauf qu’on est plus au Janicule mais sur le canal Pavese à Milan, avec de la brume et, même, très loin à l’horizon, le trafic des automobiles ! » [In : R. Cadonici : Vingt-cinq solistes pour un chœur, les actrices de Bolognini, Gliori, 2019] Toujours est-il qu’on entendra, par ailleurs, la voix de Léo Ferré chantant le poème Écoutez la chanson de Paul Verlaine, dans un prologue puis un générique qui renvoyait visuellement autant vers Toulouse-Lautrec, Manet et Renoir que vers les macchiaioli. On se pose donc la question : Pourquoi avoir nommé, en France, le film Bubu de Montparnasse qui, du reste, ne fut projeté que six ans plus tard à Paris ? Raphaël Bassan montre en quoi le film se charge d'un aspect intrinsèquement italien et, au-delà, profondément européen. Il note qu' « à travers la peinture désabusée de la vie d'une femme (Berthe) issue d'un milieu populaire et de son amour pour Bubù, située au tournant du siècle, ce sont toutes les structures esclavagistes de l'Europe en voie d'urbanisation (le matériau de base est constitué par un roman français, mais de nombreux détails en font une œuvre profondément italienne ; l'importance de la famille patriarcale, le sens de l'honneur, un machisme qui nie l'identité féminine...) qui nous sont dévoilées par mélodrame interposé. » [Écran 77, n° 57] Enfin, on y retrouve une thématique propre à Mauro Bolognini, s'insinuant depuis La Viaccia (1961) jusqu'aux magnifiques réussites que constituent Fatti di gente perbene (1974), tourné en grande partie à Bologne, et L'eredità Ferramonti (1976), située à Rome.  Au-delà, Jacques Lourcelles signale en quoi la beauté des films du réalisateur toscan n'a rien de purement artificiel et ne relève nullement d'une forme de préciosité gratuite. «Sous les différentes couleurs qu'elle revêt, écrit-il, la beauté a, chez Bolognini, les maléfices et les séductions morbides d'une mort lente, d'une décomposition [voir la séquence où Berta, dans le taudis qu'elle partage avec son souteneur, apparaît hagarde, rongée et les cheveux crasseux selon une posture qui parodie, mais en contraste absolu, les canons esthétiques chers à Sandro Botticelli et les artistes de la Renaissance.]  ; c'est là le seul type d'évolution que la société et les personnages qu'il décrit puisse connaître. [...] » Du reste, Mauro Bolognini filme avec une science infinie des villes dont il ne méconnaît aucunement l'architecture, trace de sa formation initiale, mais aussi l'histoire et les coutumes. Aussi s'attache-t-il à en offrir un reflet dépourvu d'exotisme. Le réalisateur décrit essentiellement « l'amère beauté et la cruauté des lieux où les personnages sont prisonniers, victimes de la prison sociale qu'installent autour d'eux la misère, l'injustice, la pétrification de la société, l'omniprésence des rapports humains fondés uniquement sur l'argent. » (J. Lourcelles, op. cité).  

 

Bureaux de Dieu (Les) [2008 - France, Belgique, 122 min. C] R. Claire Simon. Sc. C. Simon, Natalia Rodriguez, Nadège Trébal. Mus. Arthur Simon. Ph. Philippe van Leeuw. Mont. Julien Lacheray. Pr. Richard Copans, Philippe Carcassonne et Philippe Kauffmann. I. Anne Alvaro (Dr. Marianne), Nathalie Baye (Anne), Michel Boujenah (Dr. Lambert), Rachida Brakni (Yasmine), Isabelle Carré (Maria), Lolita Chammah (Emmanuelle), Béatrice Dalle (Milena), Nicole Garcia (Denise), Marie Laforêt (Martine), Marceline Loridan-Ivens (Marceline), Emmanuel Mouret (Pierre). 

~ Née à Londres en 1955, la réalisatrice française Claire Simon a grandi dans le Var. Elle a débuté au cinéma comme monteuse puis s'est initiée au cinéma direct dans le cadre des Ateliers du Varan fondé en 1980 sous l'impulsion de Jean Rouch. Selon elle, si « la banalité contient de la fiction », alors il appartient au cinéaste de la débusquer. Il est, par conséquent, difficile de délimiter son travail. Après une belle série de CM, elle réalise son premier LM, Les Patients [75 min.] en 1989. Ce dernier observe les derniers mois de consultations d'un médecin généraliste de province en fin de carrière. Les Bureaux de Dieu est son neuvième LM. Claire Simon filme une permanence du planning familial. Le scénario, comme l'indique le film à l'épilogue, a été écrit à partir de scènes réelles prises dans des centres du Planning Familial entre 2000 et 2007. Des femmes de tous âges, de toutes conditions, de toutes origines viennent quémander une écoute et un soutien auprès de conseillères attentives. Ce sont, parmi elles, Djamila qui aimerait prendre maintenant la pilule tandis que Nedjma dissimule les siennes car sa maman fouille son sac. D'autres jeunes femmes hésitent, ont peur comme Hélène, Clémence, Adeline ou Margot. Maria Angela aimerait quant à elle connaître le père de son enfant. Ana Maria souhaiterait concilier amour et liberté. Toutes sont pour l'essentiel d'authentiques protagonistes de ces drames. En revanche, les rôles de conseillères ont été dévolus à des comédiennes sur la base de témoignages véridiques : Anne (Nathalie Baye), Denise (Nicole Garcia), Marta (Isabelle Carré), Yasmine (Rachida Brakni), Milena (Béatrice Dalle)... Celles-ci se servent d'entretiens enregistrés dans les centres d'accueil. Leur interprétation - le terme paraît inadéquat - est criante de vérité. Les unes - les non professionnelles - comme les autres ignoraient à qui elles seraient confrontées. D'où une salutaire spontanéité dans les échanges. Une empoignante chronique sur la détresse sexuelle et morale des femmes et sur la condition humaine tout court.