~ I soliti ignoti (Le Pigeon, 1958 - Mario Monicelli)
Dimanche 29 décembre 2024 à 16h30 Vendredi 3 janvier à 18h30 Samedi 4 janvier à 16h30
. Balourd, Cosimo (Memmo Carotenuto) se fait pincer par la police en volant une Fiat 1400, et alors qu’il planifie un « casse »... Il veut donc se sortir d’un pareil mauvais pas en recherchant un « pigeon » (en italien, la pecora). Ce faux-coupable doit avoir un casier judiciaire vierge. Sa peine de prison serait ainsi la moins lourde possible. Un boxeur ringard, Peppe (Vittorio Gassman), totalement endetté, se présente au juge afin d’y simuler sa culpabilité et de toucher quelque argent. Le magistrat n’en avale goutte : il fait incarcérer Peppe sans libérer pour autant Cosimo. En prison, ce dernier, saisi par le repentir, lui dévoile la stratégie, soi-disant infaillible, de son futur larcin. Peppe le remercie tout en lui révélant le mensonge : il est désormais libre et n’a jamais été menacé de trois ans d’emprisonnement. Roulé, Cosimo laisse éclater sa fureur. Peppe organise le hold-up d’un bureau de prêt sur gages avec les complices habituels de celui-ci : Tiberio le photographe (Mastroianni), Mario l’orphelin (Renato Salvatori), Michele dit “Ferribote” le Sicilien (Tiberio Murgia), Capannelle le palefrenier (Pisacane) aidés des conseils d’un expert en coffre-fort, Dante Cruciani (Totò). À la faveur d’une amnistie générale, Cosimo est élargi. Sa sortie de prison n’est guère fructueuse. Il rate, entre autres, un vol à la tire plutôt dégradant. Il lui faut s’enfuir à toute vitesse, mais il se fait mortellement happé par un tram...
Italie, 102 min. R. Mario Monicelli. Sujet et scénario : Agenore Incrocci, Furio Scarpelli, Suso Cecchi D’Amico, Monicelli. Ph. Gianni Di Venanzo (N&B). Décors et costumes : Piero Gherardi. Ensemblier : Vittorio Anzalone. Montage : Adriana Novelli. Musique : Piero Umiliani. Pr. Franco Cristaldi, Nicolo Pomilia. Vides Cinematografica, Lux Film. I. Vittorio Gassman, Marcello Mastroianni, Renato Salvatori, Tiberio Murgia, Carlo Pisacane, Totò, Claudia Cardinale (Carmela), Carla Gravina (Nicoletta), Memmo Carotenuto, Rossana Rory, Gina Rovere. Sortie en Italie : 26 juillet 1958.
~ I soliti ignoti, littéralement les habituels inconnus, sont ces malfrats anonymes dont les menus délits remplissent les colonnes vite enterrées des quotidiens locaux à fort tirage. Mario Monicelli et le couple de scénaristes Age et Scarpelli mettent en relief les « exploits comico-pathétiques » de quelques-uns de ces personnages à la fin des années 1950. Leur film, neuvième au box-office péninsulaire 1958-59, entrera dans une notable célébrité : il marquait en effet un tournant nouveau dans le cinéma transalpin, en résonance avec les mutations sociales en cours dans la société italienne. Le projet d’un tel film naquit selon des circonstances surprenantes. Le coréalisateur [avec Steno] de l’étonnant Guardie e ladri (Gendarmes et voleurs, 1951) avec Totò et Aldo Fabrizi, nous explique :
« [...] Franco Cristaldi avait produit Les Nuits blanches de Luchino Visconti et le film avait nécessité la construction à Cinecittà d’un ample décor qui représentait tout un secteur du quartier de Livourne appelé Venise (à Rome). Cristaldi nous demanda (à Age et Scarpelli et moi-même) si nous avions une idée pour exploiter cette construction qui avait été très onéreuse et dans laquelle, moyennant d’infimes transformations, on aurait pu tourner un second film. Comme ce quartier était un lieu misérable de sous-prolétaires, nous songeâmes vaguement à une histoire de petits voleurs. Or, le décor fut finalement démoli et l’occasion perdue. Nous nous retrouvions libres d’inventer le sujet. Le film s’ébaucha à la manière d’une parodie du Rififi chez les hommes, film réalisé par Jules Dassin à la fin de l’année 1954. Parmi les différents titres suggérés, nous avions même envisagé celui de Du rufufu chez les hommes. Cependant, là où dans le film de Dassin, le casse était organisé de façon magistrale, ici nous voulions décrire une bande de minables qui visaient trop gros pour eux et échouaient dans leur entreprise. Nous le faisions dans l’exaltation des films américains que nous voyions : Asphalt Jungle de John Huston entre autres. Le personnage de Peppe joué par Gassman répétait tout le temps : « Il faut agir scientifiquement ! Vous êtes prêts ? Mettez vos montres à l’heure ! » I soliti ignoti était le contrepoint au genre des films de gangsters faits naturellement avec nos comédiens, selon une humanité modeste qui nous concernait, que Age, Scarpelli et moi connaissions parfaitement parce que nous les fréquentions. [...] Il y eut une autre innovation dans le film : le milieu représenté est celui d’une Rome des quartiers pauvres, toute grise et anonyme. Le producteur me reprocha une photographie trop sombre, trop dramatique, alors qu’en fait il y avait une photographie admirable de Gianni Di Venanzo ». [M. Monicelli, L’arte della commedia, a cura di Lorenzo Codelli, Bari, Edizioni Dedala, 1986]
Ces paradoxes fondent justement l’originalité de la démarche, laquelle inaugure ce que l’on reconnaîtra, plus tard, comme étant le caractère d’un genre : la comédie à l’italienne. En réalité, il serait plus approprié de considérer I soliti ignoti alias Le Pigeon comme le maillon significatif qui relie une période à une autre, celle du contexte pénible de l’après-guerre à celle plus satirique des années d’un miracle économique en trompe-l’œil. Dans Le Pigeon, on trouve dans l’équipe technique Gianni Di Venanzo, le chef-opérateur de Michelangelo Antonioni et de Francesco Rosi, Piero Gherardi le décorateur de Federico Fellini tandis que la bande-son musicale est confiée à Piero Umiliani, compositeur bien connu en Italie pour ses recherches sur le jazz. L’univers esthétique n’est donc pas exactement celui du néoréalisme et pas non plus, éventuellement, celui d’un néoréalisme rose. Par ailleurs, la confirmation d’acteurs comme Vittorio Gassman et Marcello Mastroianni, l’apparition de Renato Salvatori et de comédiennes comme Claudia Cardinale et Carla Gravina sont les signes d’un changement d’époque. Enfin, dans une comédie policière que l’on voudrait uniment drôle, le spectre de la mort, brutale et imprévisible, apparaît dans sa vérité la plus nue. Ainsi de l’accident de tram qui lamine Cosimo (Memmo Carotenuto). « L’effet est comparable à celui du duel initial du Don Giovanni de Mozart dans l’opéra-bouffe du XVIIIe siècle », affirme Enrico Giacovelli [in : C’era volta una commedia all’italiana, Gremese Ed.].
Le même auteur conclut : « Dans cette petite histoire de petits voleurs prolétaires désirant ardemment rejoindre cette bourgeoisie si vantée par les bourgeois, tout semble facile et à la portée de tous, mais à la conclusion, rien ne fonctionne. Un peu comme ce qui arrivera au boom économique. C’est pour cela que le film de Monicelli, même s’il ne le traite pas directement, en représente le prototype et le miroir. » Il se maintient, toutefois, dans une tradition plus proche de la parodie populaire que de l’analyse historique et sociale portée par les œuvres ultérieures comme Una vita difficile (1961) de Dino Risi ou La grande guerra du même Monicelli l’année suivante.