Schermo : Storia italiana
◙ L’Armata Brancaleone
1966, Mario Monicelli
Toujours dans le cadre de la rétrospective Mario Monicelli à la Cinémathèque de Paris, un des chefs-d’œuvre du cinéaste longtemps inédit en notre pays. Le film est projeté une seconde fois ce samedi 27 mai à 19 h 15.
https://www.cinematheque.fr/seance/38995.html
« Je suis impur, un insatiable homme à bordel, un narquois, une crapule, leste de langue et d'épée, la débauche facile. »
(Brancaleone)
« Ce qui l'avait jetée dans le métier de la chevalerie, c'était le désir de tout ce qui est austère, exact, rigoureux, plié à à une règle morale ; et, dans le maniement des armes ou la conduite des chevaux, le goût d'une extrême précision de mouvements. Mais en réalité...Elle était environnée de gros bonhommes suants, qui faisaient la guerre à l'esbroufe, d'une manière approximative et négligente. Hors des heures de service, ils passaient leur temps à prendre des cuites ou à se traîner derrière elle, en vrais lourdauds, avec une seule idée en tête : savoir lequel d'entre eux elle emmènerait dans sa tente pour la nuit. »
(Bradamante dans Le Chevalier inexistant d'Italo Calvino)
Une poignée de vagabonds qui devraient former une compagnie de fortune, conduits par Brancaleone de Norcia (Vittorio Gassman), dépouillent de ses biens le chevalier Arnolfo-Main-de fer. Ils s’emparent d’un parchemin qui donne à celui qui le possède la propriété du fief d’Aurocastro dans les Pouilles. Ils partent de Faleri pour en prendre possession. Après mille péripéties et aventures (la peste, les envies d’une veuve impatiente, le sauvetage d’une vierge des brigands, l’assaut des pirates sarrasins), l’armée ne réussira à se sauver qu’en suivant Zénon (Enrico Maria Salerno) en Terre Sainte.
Ce film célèbre fut un des grands succès publics de Mario Monicelli (tout juste précédé par Sergio Leone – Et pour quelques dollars de plus – au box-office des films italiens de la saison 1965-66).
C’est également une de ses plus belles réussites artistiques. Il resta néanmoins longtemps inédit en France. Il convient, par conséquent, de ne pas le manquer. « Il est, à bien des égards, unique dans l’histoire du cinéma », écrit Jacques Lourcelles, cet homme extraordinaire qui nous a tant fait découvrir de films – italiens ou autres – que nous ne pouvions voir dans l’hexagone. Des cinéastes (italiens ou autres) sont en effet quasiment inconnus chez nous. Revenons à notre ami Lourcelles et à son appréciation concernant L’Armata Brancaleone :
- « Dans un Moyen-Âge de fantaisie, barbare, anti-conventionnel, démystificateur et pleinement convaincant se déroule une épopée picaresque aux cent épisodes où s’équilibrent merveilleusement le burlesque, la farce, l’aventure, la satire historique. » Le Mereghetti Dizionario dei film rappelle que cette réalisation, scénarisée avec Age et Scarpelli, est un clin d’œil à diverses sources : des Samouraïs d’Akira Kurosawa à la tradition picaresque incarnée par Cervantès - Vittorio Gassman a été comparé à Don Quichotte - ou le poète florentin Luigi Pulci, à travers son épopée chevaleresque Morgante (1483), en passant par l’écrivain-scénariste Luigi Malerba (Donne e soldati avec Antonio Marchi en 1954) ou le réalisateur Vittorio Cottafavi (I cento cavalieri, 1964). Lourcelles ajoute : « La verve de tous les collaborateurs s’est additionnée pour donner un chef-d’œuvre insolite et extraordinairement drôle. Verve des scénaristes à l’invention dramatique prodigieuse, qui bâtissent un dialogue dans une langue composite à la fois populaire et littéraire – la langue post-latine de Viterbe -, brutale et sophistiquée. Verve des acteurs : Vittorio Gassman, grandiose et pitoyable, dans un de ses rôles inoubliables (entouré d’une distribution de premier plan : Carlo Pisacane, Gian Maria Volonté, Enrico Maria Salerno, Catherine Spaak, Barbara Steele, Maria Grazia Buccella, Folco Lulli). Verve du metteur en scène qui mêle avec un art consommé élégance plastique et bouffonnerie gestuelle. Superbe extravagance des couleurs de Carlo di Palma ; des costumes, des décors et des coiffures (Piero Gherardi). » Quatre ans plus tard, la même équipe récidive avec Brancaleone s’en va-t-aux-croisades qui, lui, ne sortira qu’en 1977. Ce dernier film encore plus raffiné ajoute une dimension supplémentaire, celle du fantastique qui n’est pas sans rappeler la veine d'Italo Calvino dans son Chevalier inexistant. Brancaleone y livre un duel avec la Mort. Le texte de cette partie est écrit en vers. Un régal pour les yeux et les oreilles.
- Les lieux, batailles ou noms cités dans ces deux films, les costumes et les décors, la langue utilisée : tout est, en grande partie, imaginaire. L'Armata Brancaleone est tourné en majeure partie dans le haut Latium et en Maremme. La scène d'Aurocastro se situe à Le Castelle, un hameau de l'île de Capo Rizzuto (province de Crotone) en Calabre.
- « Je crois que L'Armata Brancaleone est le film le plus important que j'ai fait. Ce film est une intuition. Je le considère important parce que c'est un film sans précédent dans l'histoire du cinéma. Usuellement, il y a cette image du Moyen-Âge, ces années du Haut-Moyen-Âge qui sont toujours vues dans l'iconographie, dans la peinture, dans les romans, dans les films, dans l'enseignement des écoles, comme une ère de chevaliers, de donzelles, Roland, toute une vision maniériste. L'Armata Brancaleone est un film historique qui reprend cette tradition et la transforme en une matière presque néoréaliste. Le film projette une image complètement désacralisée de ce Moyen-Âge, de ces châteaux forts, de ces ducs et de ces rois qui étaient des aventuriers, des ignorants privés de moyens, de ces tournois qui étaient comme des parties de football de troisième catégorie disputées sur un mauvais terrain de banlieue. [...] Nous avons situé le film aux alentours de l'an mil. [...] Le film est né en pensant à Vittorio Gassman représentant parfaitement cette espèce de chevalier errant, un peu borné et stupide, courageux, emphatique, aventureux. » (Entretien avec Jean Antoine Gili, Rome, avril-mai 1977)
- Vittorio Gassman venait de tourner au Caire puis à Sestrières, aux côtés de son ami Adolfo Celi, Slalom de Luciano Salce. Voici ce qu'il dit à propos de Brancaleone : « De retour à Rome, je continuai à tourner des films comiques ; Il tigre (L'homme à la Ferrari, Dino Risi), Lo scatenato (Franco Indovina), Il Profeta (toujours Dino Risi), jusqu'à ce que je retombe sur Monicelli pour l'heureuse aventure de L'Armée Brancaleone. Ce Brancaleone fut un de mes personnages les plus populaires, surtout auprès des petits garçons (dont Alessandro [N. p. : le fils de l'acteur, devenu acteur à son tour, est né un 24 février de l'année 1965], maintenant assez grand pour en comprendre l'histoire) qui me saluaient dans la rue en chantant la marche de cette fameuse armée. Je découvris alors que mon fils me préférait avec une barbe, comme si des joues et un menton poilus étaient pour lui une garantie d'autorité. » (In : V. Gassman : Un grand avenir derrière moi [Un grande avvenire dietro le spalle], traduction française : Roland Stragliati. Julliard, 1982)
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Marcia (L'armata Brancaleone) - Carlo Rustichelli - 1966
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https://www.youtube.com/watch?v=-oBhtYDUyio&ab_channel=NannuSoundtracks
- L'Armata Brancaleone. 1966, Italie-France. 128 minutes. Réalisation : Mario Monicelli. Scénario : Age, Scarpelli, Monicelli. Photographie : Carlo Di Palma (Technicolor). Musique : Carlo Rustichelli. Montage : Ruggero Mastroianni. Décors : Piero Gherardi et Carlo Gervasi. Costumes : P. Gherardi. Effets spéciaux : Armando Grilli. Production : Fair Film (Mario Cecchi Gori), Rome. Les Films Marceau, Paris. Interprétation : Vittorio Gassman (Brancaleone da Norcia), Catherine Spaak (Matilda), Gian Maria Volonté (Teofilatto), Maria Grazia Buccella (la veuve), Barbara Steele (Teodora), Enrico Maria Salerno (Zenon), Carlo Pisacane (Abacuc), Folco Lulli (Pecoro), Ugo Fangareggi (Mangold), Alfio Caltabiano (Arnolfo Main-de-fer). Sortie en Italie : 7 avril 1966. Sortie au Festival de Cannes : 11 mai 1966.
- Brancaleone alle crociate (Brancaleone s'en va-t-aux croisades). 1970, Italie-France-Algérie. 115 minutes. Réalisation : Mario Monicelli assisté de Carlo Vanzina. Scénario : Age, Scarpelli, Monicelli. Photographie : Aldo Tonti. Musique : Carlo Rustichelli. Scénographie : Mario Garbuglia. Montage : Ruggero Mastroianni. Effets spéciaux : Armando Grilli. Production : Mario Cecchi Gori. Interprétation : Vittorio Gassman (Brancaleone), Stefania Sandrelli (Tiburzia da Pellocce), Adolfo Celi (Goemondo, roi de Sicile), Sandro Dori (Rozzone), Beba Loncar (la princesse Berthe d'Avignon), Luigi Proietti (Le pénitent immonde/Saint Colombin/La Mort), Paolo Villaggio (Thorz). Grand prix du Festival de Chamrousse 1977. Sortie en Italie : 24 décembre 1970. Sortie en France : 23 novembre 1977.