Schermo : Profumo di donna (1974)
¬ Profumo di donna (Parfum de femme - Dino Risi 1974)
.. « Parfum de femme, adaptation d’un roman de Giovanni Arpino (Il buio e il miele / L’Obscurité et le miel) publié en 1969, est le récit de voyage du capitaine Fausto Consolo (Vittorio Gassman), l’adieu au monde et à la vie d’un soudard déchu. Un monde qu’il ne voit plus et la vie qui lui échappe. Nous le découvrons, tapi chez lui, à Turin, tout au fond d’un appartement vaste et sombre comme un mausolée. Lion en cage qui puise dans son infirmité une sorte de rage existentielle. Aveugle et aveuglé. Qui est-il donc, en vrai, ce macho dans sa nuit, ce tricheur blessé ? Portrait à plusieurs voix sous la plume des critiques de l’époque. « Un homme encore jeune, de belle prestance, aimant les femmes, buvant sec, méprisant, cherchant à couper court à toute expression de pitié chez les autres... » (Michel Mohrt dans Le Figaro) « un héros fantasque, un cavaleur qui ne pense qu’au sexe, un m’as-tu-vu fier de ses paillardises, en qui cohabitent infirmité et appétit de vivre. » (Jean Collet dans Études) «Si Fausto joue les comiques, c’est pour éviter de paraître ce qu’il est : un personnage tragique. » (Robert Chazal dans France-Soir). « Il affiche une désinvolture surprenante, mêlée de scepticisme et de cruauté. Ses sarcasmes sont impitoyables. Nul n’échappe à sa misanthropie. S’il cultive ainsi l’orgueil et le mépris, c’est au nom d’une véritable éthique de la dignité, s’enfermant volontairement dans une solitude poignante (Valeurs actuelles) « Tyrannique, ricaneur, notre fier-à-bras (mécanique) n’entend pas se laisser traiter en épave. (Jean-Louis Bory dans Le Nouvel Observateur) « Il tente désespérément de réagir contre sa solitude en se forgeant un masque d’arrogance et en se jetant sur l’existence pour lui voler le peu qui reste à un aveugle. (Aldo Tassone dans La Revue du cinéma).
« Comme un personnage de Calvino, il est réellement constitué par ce qu’il montre aux autres. Ce qu’il croit être son camouflage, c’est lui-même » (Paul-Louis Thirard dans Positif) « Un don Juan ravageur, écorché-vif, râleur, insupportable ... qu’on giflerait bien, s’il n’était aveugle, et qui le sait, et qui en profite, et en rajoute. » (Henry Rabine dans La Croix).
Tous ces rappels sont dus à Michel Boujut pour L’Avant-scène Cinéma consacré à ce film de Dino Risi sorti entre Le Sexe fou (Il sesso matto) et La Carrière d’une femme de chambre, où l’on retrouve Agostina Belli et Vittorio Gassman.
Il est clair que le rôle joué par l’acteur Gassman, interprète de prédilection de Risi, n’est qu’un prolongement ou de subtiles variations autour d’un personnage mis en scène depuis Il mattatore (L’Homme aux cents visages, 1960) en passant par les légendaires Il sorpasso (Le Fanfaron, 1962), I mostri (1963), film à sketches en alternance ou avec Ugo Tognazzi, jusqu’à Il profeta (1968) en passant par Il tigre (L’Homme à la Ferrari, 1967). Il offre des ressemblances notoires avec Gassman lui-même. Nul autre que lui n’aurait pu l’incarner idéalement. Aussi le Prix d’interprétation obtenu par Gassman au Festival de Cannes est-il amplement mérité. Cependant, le personnage est désormais habité par une plus grande amertume et un sentiment de solitude et de peur. Handicapé et atteint de cécité, il a aussi vieilli. Enrico Giacovelli écrit : « Profumo di donna est une sorte de Fanfaron à l’envers, et pas uniquement du point de vue géographique. Le voyage de Turin à Naples de l’officier Gassman en compagnie de son intendant Alessandro Momo, semblerait une autre initiation à la vie de la part du vieux Gassman-pirate vis-à-vis d’un jeune encore plus imberbe, physiquement et moralement, que Trintignant en 1962. » Fausto/Gassman l’appelle d’ailleurs invariablement Ciccio comme tous ceux qui l’ont précédé. Or, en italien ciccio peut signifier tout autant mon gars, fiston, mec. On se remémorera aussi qu’un immense acteur comique d’origine palermitaine se nommait Ciccio Ingrassia et formait une paire célèbre avec son compatriote Franco Franchi. À la fin du film, Fausto dit aussi à Giovanni Bertazzi alias Ciccio que leur voyage en Italie, du nord vers le sud, de Gênes à Naples en passant par Rome - les trois cités se profilant en arrière-plan - lui aura sûrement dévoilé une part du monde et de cette humanité trompeuse qu’il méconnaît et dont lui, Fausto, ne saurait s’exclure.
Giacovelli note, bien sûr, le changement radical d’atmosphère d’avec 1962. « Il y a, dit-il, une belle différence : Gassman, blessé par l’explosion d’une grenade durant un entraînement est devenu aveugle : il veut rejoindre son compagnon d’armes à Naples, le lieutenant (joué par le chanteur napolitain Franco Ricci) qui se trouve dans la même situation que lui et avec lequel ils projettent de suicider ensemble. Voyage vers la mort, donc : mais à l’époque d’Il sorpasso la vraie destination était inconnue, maintenant elle est déclarée, même s’il manquera à Gassman le courage de mener à terme son geste et même si le Risi attendri de la moitié des années soixante-dix atténuera son orgueil solitaire dans les bras amoureux d’Agostina Belli. Compte tenu de la cécité du protagoniste, ce trajet des années soixante-dix n’est plus une façon d’observer, de regarder autour de soi, mais de scruter au-dedans, comme une forme sophistiquée de solipsisme. Pour que l’idée soit parfaitement élucidée, quelques semaines après la conclusion du tournage, le jeune Alessandro Momo qui avait déjà goûté aux jambes de Laura Antonelli dans Malicia et Péché véniel, mourra vraiment dans un accident de la circulation, comme un James Dean des pauvres, en accomplissant le destin cinématographique de Trintignant douze ans auparavant. » (E. Giacovelli : Il était une fois, la Comédie à l’italienne, Gremese International, Roma, 2015, page 264.)
Nous ferons remarquer que Risi nous offre quand même, surtout à Naples, l’éclatante beauté du cadre italien, entre ciel et mer inondés de soleil. À Naples, cité à l’âme orientale, la passion, la vitalité, la gaieté et la mort ne sont jamais si éloignées les unes des autres. Fausto par la voix de Vittorio Gassman l’énonce, la musique d’Armando Trovajoli le suggère également. Difficile d’oublier Naples dans Parfum de femme.
MS
···· Parfum de femme (Profumo di donna). Italie, 1974. Réalisation : Dino Risi. Scénario : D. Risi, Ruggero Maccari d’après le roman de Giovanni Arpino. Photographie : Claudio Cirillo. Montage : Alberto Gallitti. Musique : Armando Trovajoli. Costumes : Benito Persico. Son : Vittorio Massi. Production : Dean Film/Pio Angeletti, Adriano De Micheli. Interprétation : Vittorio Gassman (Fausto Consolo), Alessandro Momo (Ciccio), Agostina Belli (Sara), Moira Orfei (Mirka), Franco Ricci (le lieutenant), Elena Veronese (Michelina), Stefania Spugnini (Candida), Vernon Dobtcheff (Don Carlo), Alvaro Vitali (Vittorio), Carla Mancini (la religieuse), Marisa Volonnino (Ines). Sortie en Italie : 20 décembre 1974.