Schermo : Terre e contadini
Gli Ultimi (Les Derniers)
1963 – Vito Pandolfi
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Italie. b/n. 92 minutes. Réalisation : Vito Pandolfi. Scénario : V. Pandolfi, David Maria Turoldo d’après sa nouvelle Io non ero fanciullo. Photographie : Armando Nannuzzi. Musique : Carlo Rustichelli. Montage : Jolanda Benvenuti. Décors : Gino Persello, Bruno Vianello. Production : Henry Lombroso, Le Grazie Film. Interprétation : Adelfo Galli, Lino Turoldo, Margherita Tonino, Riedo Puppo, Vera Pescarolo.
Région du Frioul, dans les années 1930. Checo est l’enfant d’une famille paysanne extrêmement pauvre. Elève studieux au tempérament artiste, il souffre d’incompréhension. Lorsque le fils aîné, mineur à Charleroi en Belgique, décède des suites d’un accident du travail, la famille est plongée dans une misère accrue. À l’école, Checo est victime d’humiliations qui lui valent le surnom moqueur d’« épouvantail ».
La dura vita quotidiana, le sofferenze e la maturazione dell’undicenne Checo figlio di poverissimi contadini, soprannominato per disprezzo “spaventapasseri” ; lo stentato lavoro nei campi, le pecore da accudire, la povertà ingigantita dal confronto con chi è più ricco, gli scherzi degli altri bambini, la paura dello spauracchio campestre trasformato in un minaccioso interlocutore, la morte in miniera del fratello emigrato in Belgio che spinge il padre (Turoldo) a togliere il figlio dalla scuola par farsi aiutare nel lavoro quotidiano. Nato dal curioso incontro tra un critico marxista con qualche esperienza documentaria comme Pandofi e un poeta e predicatore cattolico comme David Maria Turoldo, ispirato al racconto autobiografico Io non ero un bambino del padre servita (che firma la sceneggiatura con il regista), è un film impossibile da iscrivere in alcun filone cinematografico, che rievoca con un robuto impianto realistico il mondo dei contadini friulani tra le due Guerre, divisi tra la tentazione dell’emigrazione e la certezza della povertà. I temi centrali dell’opera di Turoldo – i ricordi dell’infanzia, la figura della madre (interpretata da Margherita Tonino), la miseria vissuta con dignità – sono restuiti con una chiave stilistica di “assoluta severità estetica” (Pier Paolo Pasolini) e di “schietta e alta poesia” (Ungaretti), anche se può disturbare che tutti parlino in italiano (in dialetto dicono solo “mandi”, tipica forma di saluto in friulano) e certi dialoghi rischiano l’eccesso didascalico. Resta la grande forza espressiva di attori assolutamente non professionisti, “che non vengono dalla strada ma dai sochi delle campagne” (Adelfo Galli era uno dei bambini ospitati a Nomadelfia; Lino Turoldo era il fratello contadino di padre David, la maggioranza degli altri veniva da Coderno di Sedegliano, il paese natale di Turoldo) mentre i leitmotiv dello spaventapasseri riesce ad aprire il film verso una dimensione astratta ed evocativo, capace di rendere poetico il racconto. Praticamente autoprodotto. (Il Mereghetti)
Bien avant les fresques « rurales » de la fin des années 1970, respectivement réalisées par les frères Taviani (Padre Padrone) et par Ermanno Olmi (L'Arbre aux sabots), Vito Pandolfi fut l'auteur d'un film qui les anticipait largement. Le public de la péninsule n'était pourtant guère préparé à l'accueillir aussi favorablement que les deux premiers, par ailleurs récompensés à Cannes. Gli ultimi resta donc méconnu. Le titre aurait, au demeurant, un double sens. Le film de Pandolfi décrit un univers paysan irrémédiablement condamné, les derniers ce sont ces contadini d'une région ingrate : de ces hommes et de ces femmes, nous n'en verrons bientôt plus ; en deuxième lieu, ces ruraux sont également les oubliés de cette Italie du boom économique, les derniers du paysage social italien. Gli ultimi consacre aussi la rencontre de deux hommes de formation différente : d'un côté, un intellectuel de gauche, Vito Pandolfi (1917-1974) qui fut critique d'art, créateur du Teatro Stabile de Rome, maître de conférences en Histoire du théâtre ; et de l'autre, une personnalité religieuse versée dans l'écriture et la poésie, David Maria Turoldo, auteur d'une nouvelle à caractère autobiographique, Io non ero fanciullo (Je n'étais pas un enfant). Le réalisateur adapte les souvenirs du prêtre à l'écran : « Il a conservé, dira-t-il, très vives en sa mémoire les expériences tragiques vécues dans son enfance, quand il n'était encore qu'un pauvre petit berger du Friuli à la merci des hommes et des choses, à une époque qui paraissait sans espoir. » D'une austérité rigoureuse, le film traduit à merveille une forme de fatalisme paysan. Les perspectives ne sont guère nombreuses, entre l'émigration ou l'asservissement à la terre. Le réalisateur respecte les coutumes, le dialecte et les usages de la région. Il bénéficie pour cela d'interprètes non professionnels issus de Coderno di Sedegliano, la commune natale de Turoldo. Pier Paolo Pasolini, poète en langue frioulane et dont la mère était originaire de cette région, apprécia le film de Pandolfi. Il s'exprima ainsi : « La nostalgie, en tout ce qu'elle peut avoir de coupable, et par conséquent dominée par un sévère et sombre sens du renoncement, voilà l'idéologie du film. Ce sens du renoncement est cohérent du début à la fin du film et se présente en définitive tel un système stylistique, fermé, sans un fléchissement ni un compromis, profondément poétique. » (In : Ultime Notizie Globe, mars 1963) Redécouvert, Gli ultimi a été restauré par la Cineteca del Friuli en 2013.
https://www.youtube.com/watch?v=qYVC4J7YjIk&ab_channel=13harmful13
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L'Arbre aux sabots / L'albero degli zoccoli
1978 - Ermanno Olmi
- Avant-propos :
« Mal payé, mal logé, mal nourri, accablé par un travail écrasant qu’il accomplit dans les conditions les plus insalubres qui soient, pour le paysan chaque conseil d’épargne est une ironie, chaque loi qui le déclare libre et égal à tout autre citoyen est un sarcasme amer. À lui qui ne sait rien de ce qui se trouve au-delà de sa commune, le nom même d’Italie signifie service militaire, signifie impôt, signifie toute-puissance des classes aisées. […] Le percepteur et le carabinier : voilà les seuls missionnaires de la religion de la patrie au milieu des masses abruties de nos campagnes. » (Baron Sidney Costantino Sonnino, futur Président du Conseil, intervenant au Parlement en 1880).
- Liminaire
Une cascina a corte (ferme typique de la plaine du Pô lombarde), aux environs de Bergame, entre l'automne 1897 et l'été 1898. Quatre familles de métayers y vivent, partageant leurs joies et leurs peines dans une ferveur et une solidarité infaillible. Tous obéissent au propriétaire à qui revient les deux tiers de la moisson. Il y a d'abord la famille Batisti : le père Anselmo cultive des tomates en secret ; les parents qui auront bientôt un nouveau-né n'envoient qu'un garçon à l'école, Minek, et ceci parce que le curé le leur conseille. Un jour, Minek casse son sabot et son père, trop pauvre, le lui en taille un nouveau dans le tronc d'un peuplier qu'il a abattu en fraude. Lorsque l'intendant l'apprend, les Batisti sont chassés de la ferme. Les autres familles assistent, derrière leurs fenêtres, affligées et impuissantes, à leur départ dans l'obscurité.
- Ermanno Olmi chérissait, au fil des ans, et, au coin secret de son âme, L’Arbre aux sabots. Sans doute, devint-il réalisateur afin d’y traduire en images ce fabliau miraculeux, d’en conserver les sortilèges d’une poétique de l’oralité contadine ; afin justement de rendre au particulier sa vocation instantanée à l’intemporel et l’universel. Nos histoires, entrelacées et multipliées, aussi surprenantes et variées qu’elles puissent être, ne sont au fond que l’expression de notre humanité. Comment pourraient-elles survivre si nous cessions d’en alimenter le feu ? Question : Par quel détour étonnant aurait-on pu préserver, dans leur pureté inaltérée, l’exacte mémoire de ces récits ? « Je n’en sais rien, affirmait le cinéaste lombard. De toute évidence la mémoire opère ses choix : elle maintient certaines choses plus vivaces ; mieux encore, elle vous les restitue au moment même où vous avez besoin qu’elles soient restituées. Peut-être existe-t-il une forme de « biologie de la mémoire » : quand on a besoin de certains corps ou de certains anticorps, la mémoire les sécrète… […] Le village où nous avions tourné se trouve à peu de kilomètres de celui de mon enfance. Mon père était de Romano, à côté de Brescia, et ma mère de Treviglio, à côté de Bergame. » (In : « Positif » n° 210/1978). Bien sûr, L’albero degli zoccoli, situé dans une province de l'Italie du Nord, insinue l’extinction regrettée et préjudiciable d'une conception panthéiste de la vie, de la terre et du travail. Le circonscrire dans l’espace étriqué d’une veillée funèbre serait néanmoins erroné : l’actualité immédiate – celle d’un environnement, d’une agriculture et d’animaux contaminés - rend de plus en plus troublante la contemplation d’un réalisateur – décédé un 7 mai 2018 - qui perpétua, jusqu’à son dernier souffle, la foi en un monde épris de respect et de dignité.
S.M
- Frasi
« Avant tout, ce n'est pas une reconstitution rigoureuse, scientifique. Je suis retourné dans cette ferme de ma mémoire comme il y en avait beaucoup quand j'étais enfant. » (Ermanno Olmi).
« Cette sérénité du ton, accordée au rythme des saisons qui découpent le film, fait toute sa force. Sans décoller du quotidien pour faire la leçon à l'histoire, ou à ces paysans qui l'écrivent, sans charger de positivité un héros ou un commentateur éclairant les perspectives, il dit, d'une voix unie, ce qu'eut d'irrémédiable le gâchis de cultures anciennes, de destins personnels et d'intelligences, qui marqua l'introduction à la campagne de rapports fondés sur le rapide profit. » (Emile Breton)
« Parlée en dialecte, cette chronique est une bouleversante méditation lyrique sur la civilisation terrienne du siècle dernier : elle met en évidence une dimension spirituelle que nous avons perdue. [...] Cette archéologie passionnée débouche au cœur d'une beauté sublime que d'aucuns, trop hâtivement, ne manqueront pas de qualifier [...] de passéiste idéaliste, alors qu'elle interroge, au contraire, avec une force exceptionnelle, notre présent et notre avenir. [...] À cet égard, le titre, apparemment folklorique, dégage d'emblée le sens profond de l'œuvre [...] » (Freddy Buache)
« La valeur du film tient à la contradiction, ou du moins à la tension, entre ses aspects réalistes et son mouvement poétique. L'usage du parler bergamasque, facile à distinguer de l'italien parce qu'il possède une classe de voyelles particulière, est évidemment dicté par la volonté d'être fidèle à la réalité : cela va si loin que le curé fait des barbarismes bergamasques lorsqu'il parle latin, disant "filius" pour "filios", par exemple. Mais Olmi ne tombe jamais dans le piège de la reconstitution, qui fait de l'artiste le serf de l'historien, puisque celui-ci veut à tout prix exhiber ce qu'il a eu tant de mal à retrouver. La valeur archéologique de L'albero degli zoccoli paraîtra assez faible à tous ceux qui ont connu l'agriculture d'avant le tracteur. Aucun attendrissement suspect n'entoure ici les vieux pressoirs ou les manèges pour faire le battage ; le mobilier n'est même pas très rustique. Le seul archaïsme réside dans l'emploi d'une sorte d'araire pour un grand labour, alors que la charrue Brabant est apparue au début du XIXe siècle : il est vrai que l'araire tend à devenir le signal convenu de l'antiquité rustique au cinéma. Pour l'essentiel cependant la restitution d'Olmi s'appuie moins sur la présence d'objets anciens que sur l'absence d'objets modernes. Il a dépouillé la campagne et le travail rural, à la recherche d'un paysan aux mains nues, ou dont les outils sont tellement polyvalents qu'ils restent aujourd'hui encore indispensables, et n'ont donc rien d'exotique. D'ailleurs la justesse du film ne s'appuie jamais sur les choses, mais toujours sur les gestes. La passion du réel n'entraîne pas Olmi à détailler les coutumes et l'entourage. Si minutieuse qu'elle soit, la mise en scène ne va pas sans une certaine distance, mesurée moins par le respect que par le souci de donner du champ à l'action humaine. Dès lors on s'éloigne de la chronique pour entrer dans la poésie. [...] » (Alain Masson, « Positif », n° 210, 1978)
◘L'albero degli zoccoli (L'Arbre aux sabots). Réalisation, scénario, photographie et montage : Ermanno Olmi. Production : Italie. RAI, Italnoleggio Cinematografico. Directeur de production : Attilio Torricelli. Musique : J.-S. Bach (orgue : Fernando Germani). Son : Amedeo Casati. Décors : Enrico Trovaglieri. Tournage : Autour de Treviglio, Bergame et Brescia. Interprètes : Des paysans bergamasques de la région natale du réalisateur : Luigi Ornaghi (Batisti), Francesca Moriggi (sa femme), Omar Brignoli (l'adolescent Minek), Teresa Brescianini (la veuve Runk) etc. 178 minutes. Palme d'or au Festival de Cannes 1978.
- Les années 1970 furent les plus fastes pour le cinéma italien. Un an auparavant, Padre Padrone des frères Taviani obtenait la récompense suprême à Cannes, mais beaucoup auraient préféré le sublime Une journée particulière d'Ettore Scola, avec Marcello Mastroianni et Sophia Loren. En 1972, deux films à caractère politique et également italiens obtenaient conjointement la Palme d'Or : La Classe ouvrière va au paradis d'Elio Petri et L'Affaire Mattei de Francesco Rosi, dans lesquels brillait comme acteur principal Gian Maria Volonté.
◙ Séquence.
135e min. L'albero degli zoccoli. Après s'être mariés à l'église, les époux Batisti, se rendent par voie fluviale à Milan. Au cours de la traversée, les voyageurs aperçoivent de la fumée au-dessus de la rive. Le prêtre évoque les batailles entre soldats et manifestants notamment à Porta Vicentina. On aura l'occasion d'en ressentir le climat dans les rues de la cité parcourues de carabiniers à cheval et d'hommes menottés. Au sujet de ces séquences, Olmi déclare : « (Nous les avons tournées) en partie à Milan, en partie à Pavie, dans des ruelles qui sont restées comme autrefois. Le fleuve est le Naviglio ; en effet ma grand-mère racontait son voyage de noces, comment elle avait été à Cassana d'Adda et comment là elle avait pris cette grosse barque avec des marchandises et des bancs. Sur le Naviglio, près de Pavie, il y a les dernières grosses barques, et c'est là que j'ai tourné. »
Ermanno Olmi confirme avoir songé aussi à un célèbre précédent littéraire : I promessi sposi (Les Fiancés) d'Alessandro Manzoni.
« Il est clair, dit-il, qu'au-delà des intentions du romancier, il existait une réalité à laquelle il se référait, et je ne comprends pas pourquoi j'aurais dû hésiter à puiser dans une réalité qui est notre patrimoine, à tous. » Olmi ajoute néanmoins : « La fin du voyage est ici différente. Les époux de L'albero degli zoccoli reviennent au village plus unis que jamais et avec un enfant. » L'autre différence avec l'écrivain tient au fait que chez lui nous sommes au XVIIe ; le héros Renzo Tramaglino est ouvrier dans une filature et non pas paysan. Quand il découvre les rébellions populaires à Milan, il cherche à comprendre. Les ruraux d'Olmi traversent au contraire ces événements comme des étrangers. « Le monde paysan était en train de vivre sa propre fin, dans l'ignorance de tout cela », conclut Olmi.