Écran : Sorties 2023 (IV)
••• Anatomie d’une chute
(France, 2023 – Justine Triet)
… Synopsis
Sandra, Samuel et Daniel, leur fils malvoyant de 11 ans vivent dans un chalet de montagne, loin de la ville. Un jour, Samuel est trouvé mort au pied de leur maison. Une enquête est ouverte. Sandra est bientôt suspectée et inculpée malgré le doute : suicide ou homicide? Un an plus tard, le procès s'ouvre : Daniel y assiste en tant que témoin. Anatomie d'une chute est le récit d'un couple ou la plongée dans une histoire d'amour qui finit mal. « L'idée du film ? Celle de découvrir une femme (incarnée par Sandra Hüller), un couple à travers le filtre du procès et du tribunal ou encore à travers cette énorme machine judiciaire qui vient créer de la fiction. » (Justine Triet)
° Critiques
« Une écriture remarquable, des acteurs parfaits, un secret bien gardé et une atmosphère vénéneuse. Tout est là, mais il y a quelque chose en plus dans cette Anatomie d’une chute qui a valu à sa réalisatrice Justine Triet, 45 ans, la Palme d’Or de l’édition 2023 du Festival de Cannes. Son quatrième long-métrage examine les affres d’un couple d’écrivains, dont l’un trouve la mort. Suicide, meurtre ? On ne saura pas, mais le chemin qui mène à ce mystère est un passionnant précis de cinéma.
[…] Écrit avec Arthur Harari, le réalisateur de Diamant noir (2016), d’Onoda, 10 000 nuits dans la jungle (2021), compagnon de Justine, le récit condense les obsessions de la cinéaste tout en les injectant dans un récit aussi minimal que terrifiant. Vivre en couple tue.
Les films de Justine Triet - La Bataille de Solférino, 2013. Victoria, 2016. Sybil, 2019 - sont des tourbillons mettant au défi les comédiennes de jouer des êtres impurs, lorsque les vies intimes et professionnelles de leurs personnages se télescopent avec fracas. Et en matière de trouble et d'impureté, l'actrice Sandra Hüller excelle.
[…] C’est l’histoire d’un couple de créateurs qui s’entre-déchire. Samuel (Samuel Theis) n’a pas assez de temps pour lui. Qui s’occupe de l’enfant ? Qui a failli à ses devoirs ? Sandra a pu avoir d’autres relations, notamment avec des femmes. Elle s’est permis de récupérer une idée géniale d’un roman inachevé de son mari. Est-ce un crime ? Le montage est vertigineux. La désynchronisation image-son apporte un trouble supplémentaire. Samuel avait pris l’habitude d’enregistrer le quotidien. Le tribunal écoute, le spectateur découvre l’image.
L’enfant se met à témoigner. Daniel (Milo Machado Graner), le fils du couple, est-il en train de fabriquer de faux souvenirs ? […] On voit Samuel parler, mais c’est la voix de l’enfant qui résonne à l’écran. Encore une belle trouvaille dans cette anatomie du cinéma.
[Clarisse Fabre, Le Monde, 23 août]
•
« Anatomie d’une chute est un titre chirurgical pour un film au scalpel, là où on avait plutôt identifié Justine Triet comme une cinéaste du chaos (“Les films, pour moi, dit-elle, ont cette possibilité d’organiser un peu le chaos de notre existence”), du tumulte de l’intime lorsqu’il entre en collision avec celui de la vie professionnelle ou lorsqu’il est amplifié par celui des médias modernes. […] Déroute, donc, dès le titre de ce nouveau long métrage, qui nous oriente plus vers les maîtres américains (Otto Preminger, évidemment) que vers Truffaut et Desplechin ; déroute aux premières images, de se retrouver dans les montagnes de la Maurienne, de reconnaître le visage (presque) familier de l’Allemande Sandra Hüller, actrice consacrée auprès du public français depuis Toni Erdmann (2016). Déroute aussitôt acceptée cependant, tant la première scène d’Anatomie d’une chute nous embarque dans un sillage que l’on est prêt à suivre, quelle qu’en soit la direction. […] Sandra l’écrivaine est très différente de Laetitia la journaliste (La Bataille de Solférino), Victoria l’avocate (Victoria) et Sybil la psychanalyste (Sibyl). Mais elle leur est aussi très semblable, héroïne du langage comme elles, héroïne du quotidien comme elles, à la recherche de son plaisir, de cet “épanouissement” dont Victoria (Virginie Efira) avait déjà dit que c’est “un concept à relativiser”, c’est-à-dire un équilibre instable que les héroïnes de Triet, telles des boxeuses en lutte permanente, rétablissent instant après instant. Le ring, cette fois-ci, est celui d’une cour d’assises, décor que Triet avait déjà exploré dans “Victoria” mais auquel elle donne ici un caractère central. […] Une seule vérité demeure : celle que nous sommes devant un très grand film, qui allie le suspense d'un film de procès à la profondeur de sa réflexion sur le couple moderne, des lignes de dialogue fulgurantes à une écriture cinématographique virtuose, notamment en ce qui concerne le son. Tout ce qui était en germe dans les précédents longs métrages de la réalisatrice trouve ici sa place au sein de l'anatomie de ce film à la fois viscéral et maîtrisé. »
(Louise Dumas, « Un procès à la française », “Positif”, juillet-août 2023)
• Justine Triet nous dit :
« J’ai commencé à faire des films pour comprendre l’époque, je me demandais pourquoi ma génération était si peu engagée, moi-même je ne l’étais pas spécialement, je n’ai jamais adhéré à un parti. Dans Sur place on a filmé avec plusieurs caméras pour avoir différents points de vue. Mon cinéma amène du temps de regard, et donc du temps de montage. »
« Nous voulions qu’Anatomie d’une chute se dessine autour de ce manque (le spectateur ignore ce qui s’est passé dans le chalet) : on manque d’éléments et ces éléments manquants le film ne les montrera pas. La seule chose dont j’étais sûre au départ, c’est qu’on resterait dans le doute jusqu’au bout, même si, alors que le récit avance, on comprend des choses sur ce couple. Ce procès ne sera jamais le lieu de la vérité, mais le lieu de la fiction : la vérité de l’avocat à charge et celle de l’avocat de la défense écrivent deux récits qui vont déformer la vie du couple. C’est aussi comme cela que l’idée du son est devenue importante dès l’écriture : grâce à ce manque, cette absence d’image, on pourrait délirer avec le son. »
(Entretien avec Franck Garbarz et Adrien Gombeaud, Positif, 27 avril 2023)
- Titre original et francophone : Anatomie d'une chute
- Réalisation : Justine Triet
- Scénario : Arthur Harari et Justine Triet
- Producteurs : Marie-Ange Luciani et David Thion
- Producteur associé : Philippe Martin
- Photographie : Simon Beaufils
- Décors : Emmanuel Duplay
- Montage : Laurent Sénéchal
- Son : Julien Sicard, Olivier Goinard, Jeanne Delplancq, Fanny Martin
- Sociétés de production : Les Films Pelléas, Les Films de Pierre, en association avec 6 SOFICA
- Société de distribution : Le Pacte (France)
- Société de ventes internationales : MK2 Films
- Budget : 6,2 millions d'euros
- Pays de production : France
- Langues originales : français, anglais et plus secondirement allemand
- Durée : 145 minutes
- Dates de sortie :
- France : 21 mai 2023 (Festival de Cannes) ; 23 août 2023 (sortie nationale)
Distribution :
- Sandra Hüller : Sandra Voyter
- Milo Machado Graner : Daniel Maleski, le fils de Sandra et Samuel
- Samuel Theis : Samuel Maleski
- Camille Rutherford : Zoé Solidor, l'étudiante
- Swann Arlaud : Me Vincent Renzi, l'avocat et l'ex de Sandra
- Saadia Bentaïeb : Me Nour Boudaoud, l'autre avocate de Sandra
- Anne Rotger : la présidente du tribunal
- Antoine Reinartz : l'avocat général
- Wajdi Mouawad : le psy
- Jehnny Beth : Marge Berger, accompagnatrice de Daniel
- Sophie Fillières : Monica
- Arthur Harari : le critique littéraire
- Palme d'Or au Festival de Cannes 2023
- Palme Dog pour le chien Snoop 2023
- Prix du cinéma européen 2023
- Golden Globes : Meilleur film en langue étrangère et meilleur scénario (Arthur Harari).
- France : 21 mai 2023 (Festival de Cannes) ; 23 août 2023 (sortie nationale)
-
Justine Triet s'est dite « fascinée par l’affaire Amanda Knox » et a déclaré qu'elle souhaitait « aborder la question judiciaire dans ses moindres détails ». Amanda Knox est une auteur, militante et journaliste américaine emprisonnée pendant près de quatre ans en Italie à la suite de sa condamnation en 2007 pour le meurtre de Meredith Kercher, une camarade d'un stage d'échange linguistique qui partageait son appartement. En 2015, Amanda Knox est acquittée par la Cour de cassation de l'Italie. Sa famille est insolvable après avoir contracté de lourdes dettes à cause des années passées à la soutenir. Le produit de la vente des mémoires d'Amanda Knox a servi à payer les frais des avocats italiens.
La cinéaste reconnaît être « devenue incollable sur le juge des libertés, grâce à la complicité d’un ami avocat et cinéphile quand la trame de ce « film de procès » inspiré de faits divers de documentaire criminel est dévoilée en janvier dans une enquête du Monde » lors de la première projection le 19 mai à Cannes et plusieurs villes.
-
Du point de vue de la musique, deux pièces pour piano seul sont utilisées pour le film et jouées par le jeune garçon : Asturias d'Isaac Albeniz et le prélude no 4 en mi mineur de Chopin. Elles sont très caractérisées et s'opposent même fortement. Prises globalement elles sont l'une et l'autre en opposition avec l'univers des steeldrums (les tambours d’aciers caribéens) du Bacao Rythm & Steel Band qui reprend le rappeur 50 Cent, et que le père écoute.
- Le tournage a lieu en mars et avril 2022 en Savoie dans la vallée de la Maurienne (à Villarembert, à Fontcouverte-la-Toussuire, Saint-Jean-de-Maurienne et Saint-Léger), en Isère (à Montbonnot-Saint-Martin et Grenoble) et en Charente-Maritime, notamment au palais de justice de Saintes en avril-mai 2022.