~ Il vigile

(1960 - Italie, Luigi Zampa - Alberto Sordi, Vittorio De Sica)

 

 

 

. Synopsis

Recruté, non sans quelque ruse, comme agent de police municipal, Otello Celletti (Alberto Sordi) se sert de son uniforme et de sa moto pour plastronner... Rappelé à l’ordre par le maire (Vittorio De Sica), il se transforme en un fonctionnaire sourcilleux et sans pitié. Au point que le premier magistrat de la ville risquera lui-même d’en faire les frais...

 

 

~~ Au lendemain de la guerre, Luigi Zampa apparaissait comme le réalisateur qui, sur le mode humoristique ou grotesque, critiquait le plus assidûment les travers de la république italienne naissante. II mettait en lumière des contradictions et des disfonctionnements qui se prolongeaient au-delà des mutations politiques profondes dont l’Italie avait été le théâtre. De fait, son œuvre présentait un aspect préfigurateur. Elle contenait donc des propriétés qui seront, plus tard, ceux de la comédie à l’italienne. Luigi Zampa avait beau avoir une petite longueur d’avance, il restait modeste. Il se contentait de répéter : « J’explorais les faits divers. En général, les choses qui me faisaient réagir étaient celles qui me donnaient le plus envie de faire un film. »

Des films comme ceux de la trilogie sur l’histoire de l'Italie, sous le fascisme puis à la fin de cette période et à l’orée d’une nouvelle - Anni difficili (1948) ; Anni facili (1953) ; L’arte di arrangiarsi (1954) -, doivent être connus : ils esquissent, avec une clairvoyance remarquable, des croquis cruels d’une forme de vénalité qui risque de compromettre l’équilibre de la société péninsulaire. Outre Il vigile, l’Institut Lumière de Lyon aura également projeté dans sa rétrospective italienne, L’onorevole Angelina (1947) avec une Anna Magnani, égale à elle-même, volcanique à souhait, qui met en lumière le scandale de la spéculation immobilière alors que de nombreux Romains souffrent de n’être point logés ou d’être logés selon des conditions d’insalubrité indescriptibles. Les Coupables (Processo alla città, 1952) constitue peut-être son œuvre la plus réussie et la plus complète. Situé à Naples, coscénarisé, entre autres, avec Francesco Rosi, et réalisé avec le soutien de Mauro Bolognini et Nanni Loy, Processo alla città anticipe les prochains films de celui-ci. La survenance d’une société marquée par une forte croissance économique et, en étroite relation avec celle-là, l’envol de la commedia all’italiana colore d’une dimension inédite l’œuvre du cinéaste romain. À tel point que la caricature semble souvent prendre nettement le dessus sur l’analyse. Laquelle faisant défaut ôte une part réellement dénonciatrice du film. Il vigile souffre parfois d’un pareil défaut. Il vigile (L’Agent) s’inspire d’un fait divers situé à Rome. Je reprends ici les notes de Roberto Chiesi : « Le 22 juillet 1959, l’agent de la circulation Ignazio Melone verbalise le préfet de police de Rome Carmelo Marzano ; celui-ci se met alors à vociférer des injures et des menaces à l’encontre de l’agent, refusant d’acquitter l’amende comme le ferait un citoyen ordinaire. À la suite de quoi, l’agent dénonce la conduite du préfet de police et l’affaire est portée devant la justice. Cependant, avant l’ouverture du procès, Marzano, avec la complicité de l’hebdomadaire de droite Lo Specchio, entame une campagne de dénigrement à l’encontre de Melone, révélant des informations peu ragoûtantes sur sa famille, au point que le policier est accusé de proxénétisme et de recel, devenant ainsi, d’accusateur, l’accusé. » À la terminaison, la justice “passera l’éponge”. [In : Tout sur Vittorio De Sica, sous la direction de J. A. Gili et Piero Spila. Gremese Ed. P. 62.]

 

Le scénariste Rodolfo Sonego voit dans cette affaire comme un symbole du climat de l’Italie démocrate chrétienne. Sonego écrit un scénario en songeant à Alberto Sordi, mais aussi à Luigi Zampa. Pour contourner la censure, on déplaça le récit de Rome à Viterbe et on fit du préfet un maire. Néanmoins, la sortie du film fut retardée par le ministère de l’Intérieur. Il ne fallait pas qu’elle coïncide avec la tenue des élections municipales (suggérées d’ailleurs dans le film de Zampa). Conformément à une idée propre à l’œuvre du réalisateur, l’édile interprété par Vittorio De Sica devait rendre compte d’une continuité paradoxale : son pouvoir tiendrait d’une lignée héréditaire. Ou, exprimé autrement : quels que soient les changements de régime politique, on retrouve à la tête des institutions des hommes issus d’identiques milieux. C’est exactement ce que déclare le maire - il n’a pas de nom au demeurant - interprété par De Sica : « Je n’ai jamais eu de rivaux ! Mon grand-père a été maire sous Giolitti, mon père podestat pendant vingt ans... » Au fond, monarchie parlementaire, fascisme ou République, pour la famille de ce haut magistrat rien ne change vraiment.

 

De part en part, Il vigile met à nu les mécanismes de corruption qui entache le fonctionnement normal des institutions. L’actrice célèbre (Sylva Koscina) qui n’a pas été sanctionnée pour infraction au code de la route aurait dû se taire et ne pas se répandre dans les médias - en particulier au cours de l’émission musicale télévisuelle, Il Musichiere. C’est à partir de là - scandale oblige - que le préfet puis le maire se mettent en rogne et que l’agent est fortement mis à l’amende. Celletti/Sordi use d’un drôle de recours : il s’adresse aux opposants politiques - l’avocat monarchiste - pour faire éclater un autre scandale. Le maire réplique comme il fallait s’y attendre. La vie du policier Celletti (Sordi) n’est pas exempte d’irrégularités. À nos yeux, intelligents et bienveillants, il ne mérite pas le châtiment. Mais la société étant ce qu’elle est, Celletti risque gros... Du moins, dans une société italienne qui nage constamment entre deux eaux. D’un côté, une fausse morale rigoriste, anachronique et pudibonde, et de l’autre des coutumes totalement déliquescentes. Voilà ce que sont les mœurs sous la démocratie chrétienne. Luigi Zampa décrit avec force raillerie des situations qui nous le laisse penser. « Nous pouvons regarder le film de Zampa et mourir de rire à cause de l’exubérance de Sordi ou avoir un regard critique et arriver à la conclusion, malheureusement, que l’Italie d’hier n’est après tout pas très différente de l’Italie d’aujourd’hui. Cette Italie dont les films contemporains traitent, avec autant d’ironie, pour dénoncer les mêmes inestimables injustices », écrit Giulia Caroletti. [In : DVD édité par Tamasa Diffusion.]

 

¬ Il vigile (L’Agent). Noir&Blanc, 98 min. Pr. Royal Film (Guido Giambartolomei). R. Luigi Zampa. Sc. Rodolfo Sonego, L. Zampa, Ugo Guerra. Ph. Leonida Barboni. Montage : G. Giambartolomei. Mus. Piero Umiliani. Cost. Vera Marzot. I. Alberto Sordi (Otello Celletti), Vittorio De Sica (Le Maire), Marisa Merlini (Amalia), Nando Bruno (Nando), Carlo Pisacane (le père d’Otello), Mara Berni (l’amante du Maire), Lia Zoppelli (la femme du Maire), Vincenzo Talarico (l’avocat monarchiste), Riccardo Garrone (le lieutenant de Celletti). Sortie en Italie : 16 novembre 1960. 5e film national au box-office italien : 5,7 M entrées.