Cinémas d'Afrique (Lyon, 2024) II
~ Visages de femmes
(Désiré Ecaré - Côte d’Ivoire, France. 1985. 105 min.)
Cinémas d’Afrique
Institut Lumière (Lyon). 14 mai 20h30
Trois portraits de femmes ivoiriennes : l’une cherche à conquérir sa liberté amoureuse, l’autre apprend à se défendre des hommes et la troisième est une chef d’entreprise énergique. De la brousse à la cité, Ecaré (1939-2008) s’interroge sur le parcours des femmes du continent africain. Il filme ici une des premières scènes érotiques du cinéma subsaharien.
. Désiré Ecaré, une carrière courte mais mémorable
Natif de Treichville, cette banlieue d’Abidjan qu’avait filmée Jean Rouch dans Moi un Noir en 1958, Désiré Ecaré (de son vrai nom Ekrary) est issu d’une famille akan de confession chrétienne. Les populations akans sont principalement localisées au Ghana d’abord d’où elles sembleraient être originaires et ensuite, par ordre d’importance, en Côte d’Ivoire, au Bénin et au Togo, donc en Afrique de l’Ouest.
Ayant grandi dans une famille nombreuse, le futur réalisateur n’en fit pas moins des études complètes. Il lui faudra néanmoins quitter son pays pour poursuivre une formation supérieure en matière d’art dramatique. Il débarque à Paris à la fin de l’été 1961 et, trois ans plus tard, parvient à entrer à l’IDHEC où il obtiendra, deux ans après, son diplôme de réalisateur-producteur.
Il débute cependant comme comédien en intégrant la Compagnie du Toucau dirigée par Jean-Marie Serreau. Il crée par la suite sa maison de production, Les Films de la Lagune. L’objectif est de réaliser dans un premier temps et sur une idée de son épouse, Concerto pour un exil (1968), un court métrage de 42 minutes, portrait d’étudiants ivoiriens vivant à Paris. Cette première œuvre est basée sur une large part d’improvisation avec des acteurs non professionnels, Claudia Chazel excepté. C’est toujours à Paris qu’il va tourner son premier LM, À nous deux France ! qui renvoie tout autant au prénom de son héroïne qu’à celui du pays d’accueil. Le ton est volontiers satirique et évoque une fois encore l’aliénation des jeunes Africains. Ecaré refuse le titre qu’Argos Films veut lui faire endosser, référence à un poème de Léopold Sédar Senghor (Femme nue, femme noire). Du reste, le cinéaste ironise, tout au long du film, sur le concept de négritude. Ce qui n’aura pas l’heur de plaire en haut lieu au Sénégal. Le film sera interdit durant le règne de M. Senghor.
Désiré Ecaré revient à Abidjan en 1972 en tant que conseiller du ministère du Tourisme et de la Culture, il démissionne l’année suivante afin d’entreprendre Visages de femmes. Il démarre le tournage dans son village familial de Koffikro, au sud du pays. Hélas, les soutiens et les moyens font défaut. Ecaré se lance alors dans l’élevage de porcs et achète un restaurant à Ouagadougou au Burkina Faso. Dix ans plus tard, le voilà de nouveau à Abidjan pour achever le projet Visages de femmes. Le film est présenté à Cannes (Semaine de la critique) en 1985 et obtient le prix Fipresci. La réception publique demeure modeste, mais le scandale est bien réel en raison d’une longue séquence d’amour. En Côte d’Ivoire, le film est censuré pour « obscénité et atteinte à la pudeur. »
Au sujet de cette scène, d’une durée de dix minutes, où Kouassi et Affoué font l’amour dans le bras mort d’un fleuve, Ecaré déclarait : « L’interdire est de la part des autorités une attitude irresponsable et contradictoire : j’ai fait un film pour l’Afrique, en montrant l’Afrique, je ne l’ai pas fait pour faire plaisir à l’extérieur. »
Désiré Ecaré résume par ailleurs le film ainsi : « A Treichville, Bernadette, qui dirige une sècherie de poissons, essaye de développer ses affaires. Elle doit passer d'une économie de troc à une société basée sur l'argent. L'attitude du banquier, les traditions familiales, les réactions des hommes d'affaires qui ne sont pas prêts à accepter une femme à leur niveau tout comme sa propre méconnaissance des mécanismes d'une entreprise de plus grande dimension réduisent considérablement ses chances de succès.
Dans le village de Koffikro, on assiste au destin tragique de N'Guessan qui refuse d'être l'objet de son mari pour conquérir son propre droit d'aimer. Fanta s'efforce d'échapper aux caprices et à l'idiosyncrasie des hommes en apprenant le karaté. Son but est de défier les hommes par la force, celle que les hommes ont toujours utilisé. Les femmes africaines veulent toutes échapper à la domination masculine... mais les voies qu'elles choisissent pour y arriver contredisent les buts qu'elles poursuivent. » (In : Dossier de presse)
Dans son analyse du film sur « Africultures » - le film est ressorti en 2022 en version restaurée 4K -, Olivier Barlet affirme que les femmes «ne sont ni victorieuses ni morales ; elles n’ont pas forcément les bonnes méthodes mais elles veulent toutes échapper à la domination masculine. » Il note que « le recours aux langues locales ancre culturellement un film dont la structure peut paraître touffue mais n’a rien de confuse, tant les différents éléments puisent tous dans la quotidienneté. Cette proximité converge vers une affirmation culturelle à cent lieues de l’exotisme, où les chants et les danses n’ont rien de superflu, réunissant à nouveau cette "comédie humaine" en fin de film »