Chili : 11 Septembre 1973 à l'écran

 

  • La Spirale

(1976, Armand Mattelart, Valérie Mayoux, Jacqueline Meppiel) 

  • La Bataille du Chili

    (1975-79, Patricio Guzmán)

 

  • Le 4 septembre 1970, Salvador Allende, le candidat de l’Unité Populaire, coalition des partis de gauche et du centre-gauche, est démocratiquement élu au Chili. Dès son arrivée au pouvoir, le nouveau président s’attache à libérer son pays des dents de l’impérialisme nord-américain. Il programme la nationalisation entière des mines de cuivre, la pièce maîtresse de l’économie chilienne. Le 21 décembre suivant, Allende annonce du palacio de La Moneda, et, face à une foule fervente, qu’il vient de signer le projet de réforme constitutionnelle qui permet de nationaliser l’industrie minière du Chili. Il exproprie sans contrepartie l’Anaconda Copper Mining Co. et la Kennecott Copper Co., deux puissantes multinationales U.S. D’autres entreprises subissent un sort identique. Il déclare, en outre, que l’Anaconda, par exemple, avait tiré du pays des profits s’élevant à 80 % de ses gains dans le reste du monde. En revanche, il note que cette compagnie place au Chili moins du sixième de ses investissements extérieurs. Le gouvernement de l’UP engage, tout autant, un train de mesures sociales urgentes : l’augmentation des salaires, la construction de logements sociaux, la distribution gratuite de lait aux enfants, une réforme agraire plus audacieuse. Cette orientation n’est pas du goût de tout le monde. D’ailleurs, le programme de l’UP d’Allende est clair : Il n’a donc pas l’agrément de la grande bourgeoisie chilienne et du pouvoir nord-américain en place. Henry Kissinger, alors conseiller à la Sécurité Nationale auprès du président Richard Nixon, déclare : « Je ne vois pas pourquoi nous regarderions sans broncher un pays devenir communiste par suite de l’irresponsabilité de son peuple. » Les États-Unis ne veulent pourtant pas reconduire d’opérations militaires du type Baie des cochons à Cuba en 1961 ou Saint-Domingue en 1965. Les temps ont changé. En réalité, le théâtre des tentatives de déstabilisation doit se déplacer sur le terrain économique. Selon des archives déclassifiées, on sait désormais que les directions des multinationales impliquées se réunissaient régulièrement à cette fin au sein d’un groupe lié au NSC (la Sécurité Nationale). Kissinger y était présent forcément. Richard Nixon déclara d’ailleurs : « Notre principale préoccupation concernant le Chili, c'est le fait qu'Allende puisse consolider son pouvoir, et que le monde ait alors l'impression qu'il est en train de réussir. Nous ne devons pas laisser l'Amérique latine penser qu'elle peut prendre ce chemin sans en subir les conséquences » Cela nous paraît propre à confirmer la stratégie des dirigeants nord-américains. 

Le film dont il est question, ce documentaire français appelé « La Spirale », sorti en 1976, conserve sa valeur pédagogique. Il ne raconte pas exactement l’histoire de l’Unité populaire (4/11/1970 / 11/09/ 1973), mais plutôt comment les adversaires de ce nouveau gouvernement ont fait de ces trois années, « une machine infernale, mise en route avant même que l’Unité Populaire ne soit élue, un escalier pour le tonnerre. »  

 Le 11 septembre 1973, il y a un demi-siècle désormais, le gouvernement de Salvador Allende – le président trouve la mort dans ces circonstances – est renversé par un Coup d’État militaire dirigé par un ministre de la Défense admirateur de Napoléon Bonaparte et de Louis XIV, le général Augusto Pinochet, juste nommé le 23 août de cette année-là. Onze jours après le Golpe, le 22 septembre 1973, Henry Kissinger deviendra le 56e Secrétaire d’État des États-Unis.  Quant à Pinochet, il deviendra le bourreau et le dictateur tout-puissant du peuple chilien seize ans durant. Le terrorisme d'État est une constante. On menace, on torture, on assassine, on fait disparaître sans laisser de traces. Des centaines de milliers de Chilien(ne)s sont contraints à l'exil. « Cette période de brutalisation de masse coïncide, dès 1975, avec celle d'une thérapie de choc économique qui transforme le Chili en laboratoire à ciel ouvert d'un néolibéralisme débridé : le pays devient le parangon des Chicago Boys et des théories monétaristes chères à l'économiste Milton Friedman. » (Franck Gaudichaud, auteur du livre « Découvrir la Révolution chilienne », Les Éditions sociales, Paris, 2023) L'impérialisme U.S. et ses alliés chiliens veulent infliger ainsi une leçon exemplaire à une fraction importante du peuple chilien : « Vous avez eu la folie de croire au socialisme, nous ferons la preuve qu'il n'y a pas d'autre politique que la nôtre. » Inutile de faire, à notre tour, une démonstration de l'inanité et de la cruauté d'une telle politique. Les peuples du monde entier en mesurent, aujourd'hui plus encore, les méfaits dévastateurs. 

 

  • La Spirale, documentaire français de 138 minutes, a été réalisé entre 1974 et 1975. Son sujet : les stratégies des droites chiliennes et de leurs alliés, dès avant la victoire de l’UP de Salvador Allende en 1970. Armand Mattelart, ayant vécu au Chili entre 1962 et 1973, a été exclu de ce pays après le Golpe. Le documentariste Chris Marker lui propose alors de faire un film sur les années de l’UP. La Spirale a néanmoins une genèse plus ancienne. Marker était venu au Chili en 1972. Il cherchait à rencontrer les cinéastes chiliens et à connaître la politique de l’UP en matière cinématographique. Comme nous le savons, Chris Marker militait pour des expériences cinématographiques alternatives. Sa venue à Santiago n’était pas une visite en solitaire non plus. Il accompagnait Costa-Gavras qui tournait ici État de siège avec Yves Montand. Costa-Gavras réalisera par ailleurs l'excellent Missing (Porté disparu) en 1982, dont la photographie est assurée par le grand opérateur argentin Ricardo Aronovitch, film qui fait allusion au drame chilien en l'inscrivant dans une perspective accusatrice plus globale : c'est en effet la participation avérée de la plus puissante « démocratie occidentale » à la mise en place de dictatures en Amérique Latine qui y est dénoncée. En 1972, le réalisateur de Z n’était pas seul lui aussi. Il y avait à ses côtés son producteur, l’acteur Jacques Perrin. Lequel aura de riches conversations avec Augusto Olivares, un proche conseiller du président Allende. Olivares connaissait parfaitement la situation des médias chiliens, il était responsable de la télévision nationale, et, par ailleurs, on le voit dans le film interviewé par un journaliste. Olivares est mort au cours de la fusillade du palais de La Moneda et c’est pourquoi il figure dans le film d’Helvio Soto, Il pleut sur Santiago, une fiction qui met en scène le Coup d’État du 11 septembre. C’est l’acteur italien Riccardo Cucciolla – le Nicola Sacco du regretté Giuliano Montaldo – qui l’incarne. Au cours de l’entretien, Olivares avait souhaité que Jacques Perrin finance un film sur le Chili, surtout au cas où...
  • Jacques est devenu, quelques années plus tard, le producteur de La Spirale. Il avait donc tenu sa promesse. 
  • Armand Mattelart nous dit :
  •  « La question première était quelle optique, quelle entrée choisir pour construire un film sur les trois ans de l’Unité Populaire, à partir d’un matériel que d’autres avaient filmé. Le projet était, en effet, de faire un film à partir d’une matière première déjà existante : des archives cinématographiques, télévisuelles, photographiques ou de presse. Une perspective pertinente m’a semblé être de prendre comme point de départ non pas la stratégie de l’Unité populaire mais celle de ses adversaires. Inverser donc la perspective, travailler dans un système de références inversé. 
  • La spécificité du film et ce qui le distingue de tous les autres consacrés à l’expérience chilienne est effectivement de chercher l’unité du récit et d’action non pas dans la stratégie de l’UP mais dans celle de ses adversaires, appelant dialectiquement une réflexion sur la stratégie et les tactiques de la première. Nous avons choisi ce pôle et focalisé sur la construction de cette stratégie de l’alliance entre la droite conservatrice et la droite de la démocratie chrétienne, entre les grandes corporations patronales ralliées à la première et les corporations professionnelles, dans la mouvance de la seconde. J’ai rédigé un texte en y réinvestissant des analyses que j’avais déjà commencé à élaborer au Chili. C’est à partir de ce texte que nous avons fabriqué le synopsis du film que nous avons déposé auprès de la Commission d’avances sur recettes pour obtenir des fonds supplémentaires. Ce texte a été publié dans un numéro spécial de la revue Politique aujourd’hui. » 

 

 

  • Autres films importants sur les événements du 11 septembre 1973 : 
  • La Bataille du Chili (1975, Patricio Guzmán). 272 minutes. Ce film est une coproduction chilienne, française, cubaine et vénézuélienne. Il a été réalisé 9 mois avant le Coup d’État du 11 septembre. Il constitue, selon le réalisateur, « la preuve cinématographique, jour après jour, de l’agonie d’une expérience révolutionnaire qui touche le monde entier parce qu’elle se présente comme une expérience pacifique de passage au socialisme. » Le film est divisé en trois volets : L’Insurrection de la bourgeoisie (100 min.), Le Coup d’État militaire (90 min.), Le Pouvoir populaire (82 min.)  (Diffusion actuelle sur Arte). Le premier volet de ce triptyque intitulé « L’Insurrection de la bourgeoisie » montre en quoi les choix du film de Mattelart, Valérie Mayoux et Jacqueline Meppiel sont fondés. L’intérêt de ce documentaire tient à l’immense masse de documents accumulés : à toutes les grandes étapes de la vie politique chilienne du temps de l’expérience Allende. Des dizaines d’opérateurs venus du monde entier ont amassé de la pellicule, notamment sur la période cruciale qui va des élections de mars 1973 au “tancazo” (Coup d’État non abouti du 29 juin ; Santiago avait été placée en état d’urgence deux jours auparavant). « Les plans-séquences essayent d'y appréhender la réalité dans sa durée, optant pour une réflexion du spectateur plutôt que pour un montage rapide, démonstratif. Sa caméra, très mobile, n'hésite pas à interpréter, jouant sur les oppositions, ainsi que sur les juxtapositions de détails. » (Paulo Antonio Paranagua) Le Chilien Patricio Guzmán étudia à l’École de Cinéma de Madrid à la fin des années 1970. Il rentra dans son pays qu’il trouva au bord de la guerre civile. À la tête d’une équipe réduite de cinq personnes, il prit la décision de filmer dans la rue des événements qu’il jugea, à juste raison, comme historiques. Son film est formé d’images prises chez d’autres, nous l’avons suggéré plus haut, mais, Guzmán a passé de nombreux mois à filmer manifestations populaires, assemblées syndicales, affrontements avec la police, couvertures médiatiques, grèves... Au moment du Coup d’État du 11 Septembre, l’équipe de tournage parvint à sortir du pays, exception faite du caméraman Jorge Hernán Müller Silva dont le nom figure toujours parmi les milliers de desaparecidos (disparus) de la dictature. Début de la parenthèse : Militant du MIR (Mouvement Révolutionnaire de Gauche), le jeune opérateur - il avait alors 27 ans – a été arrêté avec sa compagne, la réalisatrice Carmen Bueno Cifuentes, un 29 novembre 1974 par des agents de la DINA (Direction du Renseignement de la dictature). À la mémoire du couple, le 29 novembre est commémorée la Journée du cinéma chilien. Fin de la parenthèse. Guzman s’exila, pour sa part, à Cuba et les films lui parvinrent grâce à l’ambassade de Suède. Dans l’île, il bénéficia du soutien de l’ICAIC (Institut Cubain des Arts et de l’Industrie Cinématographique) pour un montage qui dura 4 ans. Il fut projeté dans de nombreux pays, en dépit de la censure qui sévissait au Chili mais aussi dans beaucoup de pays latino-américains.  
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  • Guzmán a réalisé un documentaire sur Salvador Allende (100 minutes environ) en 2004.  
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  • Septembre chilien (1974), court métrage de 39 minutes dû à Bruno Muel et Théo Robichet, sur la répression consécutive au Coup d’État.  
  • Helvio Soto est l’auteur d’un documentaire Vote+Fusil (1973) de 90 minutes décrivant l’arrivée au pouvoir de l’Unité Populaire ; deux fictions sur cette époque tout à la fois chargée d’espoir et tragique, Métamorphose du chef de la police politique (1973) et Il pleut sur Santiago (1975) déjà cité.  
  • Plus récents :  Machuca (2004) d'Andrés Wood qui avait huit ans au moment du Golpe. Il en aura conservé en mémoire l'interruption du processus de mixité sociale dans l'enseignement entamé sous l'Union Populaire. Machuca est l'enfant d'une pauvre famille indigène qui se lie d'amitié à un enfant de la bourgeoisie, Gonzalo Infante, d'esprit rebelle et singulier. Le Coup d'État brise leurs rêves... Santiago 73, post mortem (2010) de Pablo Larraín ... ou le récit « anodin » d'un fonctionnaire de l'Institut médico-légal qui voit s'entasser les cadavres de la dictature. Plus près de nous encore, le premier LM de l'actrice chilienne Manuela Martelli, Chili 1976, sorti sur nos écrans en mars 2023. Le film raconte avec beaucoup de subtilité comment une jeune grand-mère de la moyenne bourgeoisie découvre, à travers un jeune révolutionnaire chrétien qu'elle doit soigner, la tragédie consécutive au 11 Septembre 1973.  
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https://www.arte.tv/fr/videos/RC-024263/la-bataille-du-chili/ 

https://www.arte.tv/fr/videos/116000-000-A/la-bataille-du-chili-2-3/ 

https://www.arte.tv/fr/videos/116001-000-A/la-bataille-du-chili-3-3/?t=%7Bseek_to_second_number%7D 

 

 [Dossier rassemblé par Sportisse Michel]