Schermo : Una vita difficile (1961)

 

  • UNA VITA DIFFICILE

  • (1961 - Dino Risi, Alberto Sordi)

 

 

 

 

Liminaire

 

Silvio Magnozzi (Alberto Sordi) dirige un journal résistant au cours de la Seconde Guerre mondiale. La découverte de l’imprimerie par l’armée allemande l’oblige à fuir avec ses compagnons. Alors qu’il se retrouve dans une situation désespérée, il est sauvé par Elena Pavinato (Lea Massari), la fille de la propriétaire d’un petit hôtel d’une commune du Nord de l’Italie. Elle le cache dans un moulin désaffecté où il vit à ses côtés trois mois durant. Puis, il rejoint ses camarades de combat, non sans lui promettre de la retrouver et de l’épouser à la fin des hostilités. À la Libération, il ne lui donne aucune nouvelle. Mais un jour c’est-à-dire quasiment sept mois après la fin de la guerre, il est envoyé comme reporter à Dongo, en Lombardie, dans la région de la jeune femme. Il cherche alors à la revoir. Déçue, elle l’accueille froidement. Pourtant, elle finit quand même par le suivre à Rome où il exerce. Elle découvre son appartement exigu, ses conditions de vie médiocres, son endettement permanent. Malgré tout, Silvio reste fermement attaché à ses idéaux, n’acceptant aucune compromission qui pourrait lui faciliter la vie. Elena rencontre un ami de sa mère, le marquis Capperoni (Daniele Vargas) qui les invite à dîner chez ses parents, des monarchistes fervents. Aussi, Silvio et Elena seront bien seuls lorsqu’il s’agira de célébrer comme il se doit la fin de la monarchie piémontaise et l’avènement de la république italienne. En tant que journaliste, Silvio est sur le point de publier des noms d’industriels locaux ayant transféré des capitaux à l’étranger. Il est alors convoqué par l’un d’eux, le commendatore Bracci. Ce dernier lui fait miroiter fortune et prospérité à condition qu’il biffe son nom de la liste des fraudeurs. Silvio ne se laisse pas corrompre. L’article diffusé, il est, de fait, condamné pour diffamation et, plus tard, pour participation à une manifestation contraire à l’ordre public. Après avoir purgé une peine de deux ans d’enfermement, il ne retrouve plus d’emploi au journal. Elena, qui vient d’avoir un enfant, et sa mère lui conseillent d’entreprendre des études en architecture qu’elles financeraient elles-mêmes. Silvio s’efforce de ne pas les décevoir tout en écrivant un roman qu’il a commencé à mettre en chantier en prison. Ce roman s’appelle « Une vie difficile ». Hélas, il échoue à son examen. Il se met à boire et quitte le foyer conjugal par crainte d’affronter l’amertume d’Elena…

 

 

Jugements

 

• « Partigiano e poi collaboratore del giornale di sinistra Il lavoratore, Silvio Magnozzi cerca di mantenere anche nella vita la sua coerenza politica : cosi finisce  in miseria, va in carcere e alla fine è lasciato anche dalla moglie Elena. Dopo aver tentato invano di pubblicare un romanzo autobiografico (Una vita difficile) accetta di fare il segretario all’uomo che anni prima aveva denunciato come esportatore di capitali e riconquista la moglie, ma quando il suo principale lo vuole umiliare davanti a tutti, Magnozzi gli dà uno schiaffo che lo fa cadere in piscina e torna al fianco di Elena ad affrontare (con intransigenza?) il futuro. Straordinario affresco dell’Italia del dopoguerra e della sua democrazia, dagli entusiasmi della ricostruzione alla rapida involuzione, di cui “sottolinea con vigore il clima di opportunismo politico, di stagnazione intelletuale e di lassismo morale che si è instaurato a pochi anni di distanza dalla Liberazione” (Spinazzola). Sceneggiato da Rodolfo Sonego (qui in uno dei punti più alti della sua carriera), il film registra il processo di disillusione che si sta impadronendo della società italiana e lo fa con una grande abilità narrativa, in perfetto equilibrio tra ambizioni sociologiche, gravità ideologica, humour, ironia e amarezza. Davvero eccezionale la prova di Alberto Sordi, eroe positivo ma raccontato vistosamente in chiave grottesca, in modo da far decantare l’inevitabile retorica che poteva accompagnarsi con questo tipo di personaggi. Irresistibile la cena dai monarchici la notte del referendum per la repubblica e indimenticabile la scena in cui Sordi sputa sulle auto di lusso. Edith Peters, Silvana Mangano, Vittorio Gassman, Renato Tagliani e Alessandro Blasetti appaiono nella parte di se stessi. Praticamente rifatto da Scola moltiplicato per tre in C’eravamo tanto amati. »  (Dizionario dei film, Mereghetti)

Fr. Partisan et corédacteur du journal de gauche Il lavoratore, Silvio Magnozzi cherche à préserver dans sa vie une cohérence politique : de fait, il affronte la misère, va en prison et, à la fin, il est délaissé par sa femme Elena. Après avoir tenté en vain de publier un roman autobiographique (Une vie difficile), il accepte de servir de secrétaire à l’homme qu’il avait dénoncé comme exportateur de capitaux. Il reconquiert sa femme, lorsque son supérieur cherche à l’humilier en public : Magnozzi le gifle et le fait plonger dans la piscine (dernières séquences, photos 25 à 27). Il revient ainsi aux côtés d’Elena pour affronter (avec fermeté ?) l’avenir. Fresque extraordinaire de l’Italie d’après-guerre et de sa démocratie, des enthousiasmes de la reconstruction à la régression rapide, qui « décrit avec vigueur le climat d’opportunisme politique, de stagnation intellectuelle et de laxisme moral qui s’est instauré quelques années à peine après la Libération » (Spinazzola). Scénarisé par Rodolfo Sonego (ici dans l’une des plus hautes réussites de sa carrière), le film pointe le processus de désillusion qui imprègne la société italienne et le fait avec une grande habileté narrative, en parfait équilibre entre intention sociologique, gravité idéologique, ironie et amertume. Prestation réellement exceptionnelle d’Alberto Sordi, héros positif représenté toutefois de manière humoristique, afin de contourner l’inévitable rhétorique qui accompagne ce type de personnage. Le dîner chez les monarchistes, la nuit du référendum pour la république, est irrésistible et la scène où Sordi crache sur les voitures de luxe inoubliable. Edith Peters, Silvana Mangano, Vittorio Gassman, Renato Tagliani et Alessandro Blasetti apparaissent dans leurs propres rôles. Pratiquement refait par Scola et multiplié par trois dans Nous nous sommes tant aimés.  (Mereghetti)

 

• « Dino Risi est l'inventeur des « monstres », ce peuple disparate composé de bourgeois misérables, de petits chefs, d'industriels véreux, de cocus lâches et d'arrivistes prêts à tous les renoncements pour se tailler une part du mirage économique qui euphorise l'Italie d'après-guerre. Mais les monstres, ce ne sont pas les autres, ceux du camp d'en face et dont on rit toujours à bon compte. Les monstres, c'est nous. Dino Risi n'a jamais traité qu'un seul sujet : le compromis. Compromis de chacun avec ses convictions, sa propre histoire et celle de son pays. Satiriste redoutable, le grand Dino a toujours cru à la puissance critique du cinéma populaire et s'il faut aimer ses films, c'est parce qu'ils ont su dire au présent et mieux que tant d'autres les contradictions inhérentes à la société italienne. « Il y a plus de politique dans Une Vie difficile que dans tout Rosi, Damiani et Petri réunis », écrivait Serge Daney en décembre 1976. Tout entier porté par le génie d'Alberto Sordi, dont c'était le film préféré, Une vie difficile enchaîne avec férocité les séquences d'anthologie, du référendum de 1946 sur la République vécu autour d'un plat de spaghettis chez des monarchistes à l'examen d'entrée de Silvio aux ponts et chaussées. » (Jean-Baptiste Thoret, supplément au double Blue-Ray, Make My Day, 2022) 

 

• « Avant Il sorpasso et Les Monstres, Dino Risi donne cette petite fresque de quinze ans de vie italienne observés à travers les efforts et le ratage d'un petit journaliste luttant pour le triomphe de son idéal démocratique. Le film est essentiel en tant que maillon entre l'esprit constructif et tourné vers l'avenir du néo-réalisme et le cynisme, la dérision de la « comédie italienne »  des années 1960. [...] S'il s'agit, moralement et socialement, d'une œuvre de transition, Une vie difficile est sur le plan formel une œuvre parfaitement achevée [...]. On doit d'ailleurs considérer comme auteurs du film, au même titre que Risi, Alberto Sordi et son scénariste attitré Rodolfo Sonego. Pendant quarante ans, Sordi, incarnant ses espoirs et ses déceptions, a pour ainsi dire élaboré une véritable biographie sociale du peuple italien (Exemple illustratif : lorsque Silvio Magnozzi évoque la fameuse «débandade» consécutive au 8 septembre 1943 alors qu'il était sous-lieutenant à Côme, on pourrait y voir la réplique du lieutenant Innocenzi, toujours joué par le même comédien, dans Tutti a casa de Luigi Comencini). Aucun acteur en Europe ne peut, sur ce plan, rivaliser avec lui. » (Jacques Lourcelles, Dictionnaire des films, De 1951 à nos jours, Bouquins, Paris, 2022)

 

• « [...] Une vie difficile est en effet la comédie de la non intégration par excellence. Le héros Alberto Sordi est en conflit avec la société et les autres personnages du début à la fin. [...] même dans l'Italie libre (pour ainsi dire) et démocratique (pour plaisanter), Sordi reste en marge de la société : c'est un journaliste qui écrit ce qu'il pense dans un pays où les journalistes écrivent ce que pensent leurs patrons. (Premier exemple: Dès les lendemains de la libération, il fait titrer comme première d'Il lavoratore, « Via gli Americani da Roma ! » (« Les Américains hors de Rome ! »), plutôt que « Gli Americani a Roma ! » (« Les Américains à Rome ! »), au grand déplaisir du directeur de publication.) [...]

 Dans une des séquences-clés, on le voit dans un bar de la Versilia, en Toscane, où il a rejoint Lea Massari pour lui demander de revenir (il fait nuit, comme toutes les scènes culminantes du film, et dans le bar les gens rangés semblent s'amuser sans enthousiasme, plus par devoir que par plaisir). Seul à la table de sa femme, Sordi lui indique du coin de l'œil les autres clients : « Ne crois pas, Elena, qu'il soit difficile de se faire de l'argent, comme le fait toute cette racaille autour de nous. [...] » Entraîné par ses propres mots, Sordi se chauffe, et voici la fête qui dégénère immanquablement [...] À la fin, il se fait jeter dehors et se retrouve seul au milieu de la route. Il se met à cracher sur les voitures qui passent (elles ne s'arrêtent même pas, indifférente bourgeoisie) et sur les autocars de touristes allemands (« qu'est-ce que vous venez faire ici ? Il n'y a rien à voir, tout est horrible »). Parti d'un plan rapproché, on arrive peu à peu à une grande profondeur de champ, un petit point au fond du cadre, comme si la caméra était elle aussi devenue complice du tous (photo 22). Au loin, une chanson du temps des adieux (« Ciao, ciao, bambina.... ») tandis que des voitures filent à toute vitesse, impassibles, et se perdent à l'horizon. Vus le temps et le lieu, dans l'une d'elles il pourrait se trouver les protagonistes d'Il sorpasso dans leur joyeuse course vers la mort. [...] ». (Enrico Giacovelli, C'era una volta la commedia all'italiana, Gremese Ed., Roma, 2015, p. 344)

 

• « [...] Une vie difficile est un film bilan, un jugement sans appel prononcé contre une société malade dont le cinéaste se fait le censeur désenchanté en utilisant toutes les ressources de la satire. Avec le recul, le film apparaît d'une grande justesse en brassant les références à la politique, à l'économie, à la culture, au spectacle, à l'éducation, au journalisme. Il dresse de l'Italien un portrait cruel [...]. L'Italie du début des années soixante que décrit le film porte en germe les errements du futur, la corruption généralisée, le terrorisme comme fausse réponse à une société injuste, la mafia installée au cœur de l'État. Avec le recul encore et l'éclairage de la situation contemporaine de l'Italie, le personnage du commendatore Bracci, brasseur d'affaires dont le pouvoir s'étend à tous les domaines, prend un relief singulier, une inquiétante anticipation sur le pire à venir. » (Jean A. Gili, Le Cinéma italien, Éditions de La Martinière, Paris, 2011) 

 

• « Une vie difficile englobe un peu tous les problèmes de l'Italie depuis la Résistance jusqu'au début des années soixante. Le film pose la question du couple, la question de l'union entre deux personnes très différentes. L'intégrité idéologique de l'homme, son anticonformisme se heurtent à la volonté de la femme qui voudrait que son mari soit un peu plus opportuniste afin de pouvoir acquérir une situation, notamment dans le domaine économique. [...] » (Alberto SORDI) 

 

 

Una vita difficile (Une vie difficile). Italie, 1961. Noir et Blanc, 118 minutes. Réalisation : Dino Risi. Sujet et scénario : Rodolfo Sonego. Assistants réalisateurs : Vana Caruso, Franco Montemurro. Photographie : Leonida Barboni. Opérateur : Enrico Cignetti. Décors : Mario Scisci, Mario Chiari. Ensemblier : Vincenzo Eusepi. Costumes : Lucia Mirisola. Montage : Tatiana Casini. Son : Biagio Fiorelli. Musique : Carlo Savina (la bande-son comporte des chansons interprétées par le trio Lescano, Nilla Pizzi, Domenico Modugno, Marino Marini, Renato Carosone etc.). Production :  Dino De Laurentiis Cinematografica. Lieux de tournage : Lenno, Cerano d'Intelvi, Dongo (Lombardie) ; Rome ;  Viareggio, Massa (Toscane). Interprétation : Alberto Sordi (Silvio Magnozzi), Lea Massari (Elena Pavinato), Franco Fabrizi (Franco Simonini), Lina Volonghi (Amelia Pavinato), Claudio Gora (le commendatore Bracci), Antonio Centa (l'ami d'Elena), Mino Doro (Gino Laganà), Daniele Vargas (le marquis Capperoni), Loredana Cappelletti (l'amie d'Elena). Sortie en Italie : 19 décembre 1961. Sortie en France : 22 septembre 1976.