Schermo 

≈≈ MICHEL-ANGE (Il peccato)

 

 

[Russie-Italie, 2019 – Andrei Konchalovsky)

19 avril 2023, 23. 45

https://www.arte.tv/fr/videos/107107-000-A/michel-ange/

 

▪ Début XVI siècle. Le grand sculpteur Michel-Ange travaille sur une commande passée par le pape Jules II, membre de la famille Della Rovere, l’homme le plus puissant d’Italie.

Les Médicis, l’influente famille florentine, rivale des Della Rovere, attendent la mort du pape pour conquérir le Saint-Siège, puis toute l’Italie. Immédiatement après, lors du pontificat du nouveau pape Léon X de Médicis, Michel-Ange est contraint de faire un choix douloureux entre les deux familles rivales : rester fidèle aux Della Rovere, ou s’incliner devant les Médicis, les nouveaux maîtres du pays.

 

  • « En peignant les combats, les échecs, les ruses, la constance et les audaces de Michel-Ange, Le cinéaste russe a sans doute songé à ses propres aventures en Union soviétique, aux États-Unis, en Russie et en Europe. Elles rappellent en effet la rencontre mélancolique de la lucidité inflexible et du goût de l’humanité qui soutient toute son œuvre, dont nous avons observé pas à pas depuis 1966, les succès et les moins bons moments. « Michel-Ange » compte indiscutablement parmi les plus hautes réussites de son auteur. »

[« Positif », n° 712, juin 2020]

 

  • Andreï Konchalovsky nous dit :
  • « […] J’avais dans l’idée de faire un film sur un génie. Quand j’ai commencé à écrire « Michel-Ange », cela m’a rappelé quand j’écrivais « Andrei Roublev » avec Andrei Tarkovski. C’est comme une suite, cinquante ans plus tard : un artiste et son siècle. J’ai lu la poésie de Michel-Ange. Il a écrit quelques vers en réponse à Roberto Strozzi, un de ses amis aristocrates qui avait visité la cour des Médicis et avait aimé certaines de ses sculptures : « Il est préférable d’être une pierre en ce temps de honte et de trahison. Alors, mon ami, mieux vaut te taire et me laisser dormir. Les mots « honte » et « trahison » m’ont poussé à rechercher pourquoi Michel-Ange avait dit cela. Ça a été ma première piste. Si vous vous souvenez d’ « Andrei Roublev », de pareilles choses arrivaient à cet autre artiste. Michel-Ange vivait dans une époque de richesse extraordinaire, de cruauté extraordinaire et de sensualité extraordinaire, quand la Renaissance s’ouvrait à la connaissance de la chair chez l’être humain. De nombreuses choses sont advenues durant la Renaissance ; mon but était d’en recueillir l’odeur, la poussière. Quand j’ai réalisé « Le Cercle des intimes » (1991), il s’agissait de faire la même chose pour l’ère Staline.
  • […] Plus vous avez d’argent moins vous avez de liberté. Et Michel-Ange avait très peu de liberté car il devait rester dans le cadre de l’orthodoxie chrétienne et de l’Inquisition. Il essayait de faire passer ses idées en contrebande. Jules lui a demandé pourquoi ses prophètes étaient toujours quasiment nus ; il a répondu : « Sainteté, ils sont trop pauvres pour avoir des vêtements ! » Faire passer ses idées en contrebande, en saisissant l’occasion, j’en avais l’habitude : en Union soviétique, c’était la même chose. »
  • (Propos recueillis par Lorenzo Codelli. Rome, 26 octobre 2019)

 

 

≈≈ Michelangelo Buonarotti : la poésie ou la chaude présence de l’intime

 

La trentaine pointant son nez, Michelangelo Buonarotti alias Michel-Ange se fit poète. Il l’avait toujours été certainement, et en son âme très tôt. Son disciple, Ascanio Condivi, s’exprimait ainsi : « Il resta quelque temps sans rien faire en cet art [la sculpture], car il s’était consacré à l’étude des poètes et des orateurs et il composa des sonnets jusqu’au jour où, après la mort du pape Alexandre V, son successeur Jules II l’appela à Rome [en 1505]. Il pouvait avoir vingt-neuf ans. » L’artiste génial qui avait donné à la chrétienté la « Pietà » de Saint-Pierre ressentit en effet le besoin d’écrire des sonnets. Dire ce que la pierre seule ne saurait dire, puisque cette pierre n’est encore que celle qu’on lui demande de briser, de tailler, d’élever, d’orner et d’illustrer à la mesure des seigneurs qui l’emploient. « Dans l’aire créatrice de Michel-Ange, là où le pouvoir du ciseau et du pinceau s’arrête, naît celui de la Poésie », écrit Pierre Leyris. Aussi, ne s’interrompra-t-elle jamais. L’ultime poème sera composé à quatre-vingt-cinq ans, quatre ans avant sa mort. Ces poèmes sont comme un journal intime : ils traduisent l’infini tourment de l’artiste. Il ne faut jamais chercher quelque certitude sur l’état d’esprit de Michel-Ange. Plutôt y détecter cette autre certitude : la conscience douloureuse d’un homme dans son siècle. Celle qu’évoque Konchalovsky. De fait, on ne s’étonnera point que le Russe y ait pressenti une sorte de communauté de destin, une affinité de situations. On rappellera cependant qu’un autre Russe, le défunt compositeur Dimitri Chostakovitch, l’auteur de la « Suite opus 145 » sur des textes de Michel-Ange, se soit également reconnu dans ces sonnets qu’il découvrit au moment de la célébration du 500ème anniversaire de la mort du peintre-sculpteur. Chostakovitch était, pour sa part, dans l’antichambre de la mort. Il s’éteindra le 9 août 1975 à Moscou. La « Suite » apparaît bien comme un chant d’adieu. En même temps, l’œuvre entière de Chostakovitch la rapproche de ce qu’est la poésie de Michel-Ange. « La beauté pour Raphaël était la promesse même du bonheur, pour Léonard l’instance du mystère », écrit André Chastel, « elle devient pour Michel-Ange, ajoute-t-il, principe de tourment et de souffrance morale. […] Nul n’a éprouvé plus douloureusement la difficulté de détacher la beauté des formes sensibles et de sublimer entièrement l’amour. » [In : A. Chastel. « Art et Humanisme à Florence au temps de Laurent le Magnifique », Paris, 1959].  Tourment, souffrance et mort, ces trois aspects ont forcément inspiré le compositeur des Quinze quatuors à cordes. Michel-Ange, refusant de festoyer avec ses proches, ne leur déclarait-il pas en guise d’homélie : « Quelle merveilleuse chose que cette pensée de la Mort qui, en détruisant la Mort, dont la nature est de détruire toute chose, conserve et maintient tous ceux qui pensent à elle et les garde de toute passion. » Nul doute que ceux qui aiment l’œuvre ultime de Chostakovitch en sont continuellement ébranlés non par le sentiment de la mort en soi, de l’agonie et de la fin, mais de la Mort comme fait supérieur, fait hautement libérateur. Bien des années avant son propre crépuscule, Michelangelo Buonarotti en eut l’exacte révélation dans les tercets sur la mort de son père (XXXIV) :

« Dès lors que Dieu t’a dépouillé de nos misères,

Aie compassion de moi qui suis un mort vivant

Depuis qu’il a voulu que tu fusses mon père.

De la mort sauvé par la mort, tu es divin

et tu n’as plus à craindre de changer de vie

ou de désir, je ne l’écris point sans envie.

[…]

Cher père, par ta mort tu m’apprends à mourir,

Et je vois par la pensée où ce bas monde

Ne nous permet que rarement de parvenir.

La mort n’est pas ce pire mal que d’aucuns pensent

pour celui dont la Grâce fait d’un jouir ultime

l’éternel premier jour auprès du divin trône,

[…]

MiSha

 

▼ La Renaissance : l’hégémonie romaine

 

 Première évidence : alors que le Quattrocento s’est accompli presque entièrement à Florence, le nouveau siècle voit Rome prendre la tête du mouvement artistique italien. Sous l’impulsion de Jules II, pape de 1503 à 1513, puis de Léon X, pape de 1513 à 1521, l’Urbs redevient la capitale de la péninsule. L’architecte Bramante arrive à Rome en 1499, Michel-Ange en 1506, Raphaël en 1508. La promotion de Rome comme centre d’art et de culture au détriment de Florence marque l’apogée de la Renaissance. […]

 Le temps des génies est aussi l’ère des synthèses. Comme l’a montré André Chastel, le mythe de la Renaissance s’est cristallisé à Rome sous la forme de quatre projets grandioses, auxquels architectes, peintres et sculpteurs appelés dans la capitale, furent associés : le nouveau Saint-Pierre, commencé par Bramante, le mausolée de Jules II, dessiné par Michel-Ange, le « miroir historial », peint par Michel-Ange au plafond de la chapelle Sixtine, enfin le « miroir doctrinal » confié au pinceau de Raphaël dans la Chambre de la Signature. […]

 Destiné à être placé sous la coupole du nouveau Saint-Pierre, le tombeau de Jules II ne fut jamais terminé. Celui qu’on voit aujourd’hui dans l’église de San Pietro in Vincoli, misérablement réduit à la statue de Moïse encadrée par les deux allégories de la Vie active et de la Vie méditative, ne donne aucune idée des projets initiaux. […]

 La voûte de la chapelle Sixtine, peinte entre 1508 et 1512, fournit à Michel-Ange l’occasion de mener à bien cette audacieuse synthèse entre philosophie antique et philosophie chrétienne. Charles de Tolnay a déchiffré une fois pour toutes l’ordonnance rigoureuse qui gouverne cet ensemble unique de peintures. [In : Ch. De Tolnay, Michel-Ange, Flammarion, 1970]. […]

  • Dominique Fernandez, Le Voyage d’Italie, Plon, 1997.

 

 

 

Michel-Ange (Le Péché). Russie/Italie (2019). 134 minutes. Réalisation : Andreï Konchalovsky. Scénario : Elena Kiseleva, A. Konchalovsky. Photographie : Aleksandr Simonov. Décors : Maurizio Sabatini. Montage : Sergey Taraskin, Karolina Maciejewska. Musique : Edward Artemyev. Interprétation : Alberto Testone (Michel-Ange), Jakob Diehl (Peppe), Francesco Gaudiello (Pietro), Federico Vann (Sansovino), Glenn Backhal (Raphaël), Orso Maria Guerrini (Marquis Malaspina), Antonio Gargiul (François-Marie della Rovere), Massimo De Francovich (Jules II), Simone Toffanin (Léon X).