Black Dog

 

¬ Black Dog (Chine, Guan Hu - 2024)

 

 

... « Open your heart, I’m coming home. »

[Roger Waters, Pink Floyd, “The Wall - Hey You”]

 
 
Quatre ans auparavant, Guan Hu engrangeait un succès public phénoménal avec « La Brigade des 800 », une œuvre d’essence patriotique qui évoquait la bataille de Shangaï, à l’orée de la seconde guerre sino-japonaise, et, à travers la courageuse défense de Sihang par l’Armée chinoise révolutionnaire face aux troupes japonaises numériquement et matériellement supérieures. Les 423 défenseurs de l’entrepôt furent nommés les « 800 héros ». On ne reconnaissait pas vraiment la personnalité de Guan Hu dans ce film plutôt apologétique.
Avec Black Dog, on renoue avec l’auteur du premier « Dirt » [1994] qui installait sa caméra du côté des décalés de la rock music, le film s’ouvrant et s’achevant sur le Hey Jude des Beatles. Dans « Black Dog » ce sont les Pink Floyd que nous entendons avec Hey You. Black Dog c’est le récit d’un repris de justice de retour chez lui, dans une province située au nord-ouest de la Chine, insérée entre la Mongolie et le Tibet, aux portes du désert de Gobi, mais où le train passe tout de même. Il n’en a guère fallu plus pour que des critiques évoquent, à ce propos, un western chinois. Nous sommes cependant au XXIe siècle, à l’heure des futurs Jeux Olympiques de 2008 à Pékin, dans une Chine en totale transformation. Enfin, il y a aussi les chiens errants, peut-être enragés, ces animaux qu’une législation proscrit et que des chasseurs furieux pourchassent. Black Dog est un film en forme de fable : Lang, le héros (Eddie Peng), s’entiche d’un lévrier, et ne serait-ce que physiquement l’un - l’homme - et l’autre - le chien - ont sûrement des points communs.
 
~ Extraits d’entretien avec Guan Hu pour “Positif” du mois de mars 2025.
 
Q. Quelle a été votre idée de départ ? Un personnage, une situation, une intrigue... ?
 
Guan Hu : Ces dernières années, beaucoup d’idées se sont bousculées dans ma tête pour ce film. Je voulais surtout montrer , en toile de fond, les immenses changements qui bouleversaient la Chine. Je souhaitais filmer le destin d’un outsider, d’un personnage un peu différent. Parce que, dans ce contexte de développement rapide du pays, il y a inévitablement des gens qui restent sur le bas-côté, qui ne réussissent pas à tenir le rythme, qui trébuchent, ou qui se battent pour tenter de ne pas décrocher.
 
Q. Black Dog est un mélange de film noir, de western, de thriller, tout en se présentant comme une fable... Comment avez-vous assemblé ces différentes tonalités ?
 
Guan Hu : Je ne pense pas avoir délibérément mis chacun de ces éléments dans le film. Ils sont apparus d’eux-mêmes. Le seul principe auquel je me suis tenu durant l’écriture et le tournage a été mon désir de capter la vie d’un individu. La chose la plus importante était donc de m’astreindre au réalisme, de peindre la véritable situation de cette ville du nord-ouest de la Chine. Aucun des genres que vous avez cités n’a été greffé sciemment. Ils sont tombés dans le film, pour ainsi dire.
 
Q. Même si ce n’est pas intentionnel, on songe beaucoup au western en raison du décor...
 
Guan Hu : J’aime beaucoup le western, mais je n’ai pas eu de références particulières à l’esprit. Bien certainement, j’adore Sergio Leone et sa trilogie, dont certains aspects sont sans doute enracinés en moi. Je pense que mon film a plus à voir avec mon désir de mettre en relief la nature, son immensité, l’insignifiance de l’être humain dans cet environnement, et la rencontre de deux âmes solitaires.
 
Q. Le tournage avec des centaines de chiens ne correspond pas nécessairement à l’idée qu’on se fait d’un projet simple !
 
Guan Hu : [...] L’idée m’est venue durant la Covid, car j’ai été confiné dans une pièce durant deux ans avec un chien pour unique compagnie ! C’était une période au cours de laquelle je ne voulais pas vraiment parler, et je n’en avais pas besoin, puisqu’il était là, à côté de moi. L’être humain a une capacité de communication avec les chiens qui se passe de mots. Je me suis dit que cela méritait un film.
 
Q. Que représente la figure du chien ? Est-il porteur d’un symbole particulier ?
 
Guan Hu : Je ne dirais pas cela. Il n’a jamais réellement été une métaphore de quoi que ce soit. L’enjeu était que deux vagabonds se rencontrent, s’entraident, se soutiennent et grandissent au contact l’un de l’autre. Le rôle du chien est aussi de faire ressurgir la nature animale de Lang qui a été refoulée pendant bien longtemps, et de l’aider à reprendre la route pour commencer une vie nouvelle. Cette histoire aurait pu être racontée avec une femme, sa relation à l’animal aurait été identique.
 
Q. Le chien joue le rôle d’un double, ou d’une image miroir du personnage principal ?
 
Guan Hu : Ce que vous dites est très important. Ce sont deux personnages qui n’ont pas réussi à suivre le rythme des changements rapides de la société chinoise. Le chien est lui-même considéré comme un paria, puisque l’on croit un temps qu’il a la rage. Ni lui ni Lang ne sont dans la norme. Durant ma jeunesse, je n’étais qu’à la marge. C’était cette relation de rejet, de réconciliation et en fin de compte d’amour entre les deux qu’il m’importait de montrer avant tout.
 
Q. Le réalisateur James Gray dit que pour lui, il n’y a que deux histoires à raconter : quelqu’un qui part de chez lui, ou quelqu’un qui y revient...
Guan Hu : Ma référence, en fait, c’est Jack Kerouac, Sur la route. Avec l’idée d’être sans cesse « on the road », si l’on veut rester jeune et conserver intacte sa passion de vivre.
 
Q. Comment avez vous travaillé l’ambiance visuelle, notamment ses couleurs austères et la poésie qui s’en dégage ?
 
Guan Hu : Nous en avons énormément discuté en amont avec le directeur de la photo. Nous devions par exemple déterminer quelles scènes devaient être tournées avec un ciel bleu et quelles autres avec un ciel chargé ou nuageux. La plupart du temps, le ciel de cette région est éclatant, l’un des plus bleus au monde, nous attendions qu’il s’assombrisse pour certaines séquences. [...] L’un des problèmes aurait pu provenir de la violence du vent dans le désert de Gobi. Nous avons pu maîtriser cet aspect. Le plus difficile était dans les températures extrêmes, des fortes chaleurs du mois d’août aux journées glaciales de novembre. Quand nous avons tourné avec les centaines de chiens, ou avec la moto qui roule en plein désert, le froid était redoutable, l’acteur avait du mal à tenir son guidon, tant ses mains étaient gelées. La nature nous a lancé des défis [...] ces conditions naturelles ont joué en faveur du film, ce fut une expérience gratifiante.
 
- Black Dog réunit au générique les réalisateurs Jia Zhang-ke [”Still Life”, “A Touch of Sin”], originaire du Shanxi au nord-est du pays ; Zhang Yang et Zhang Jianya, ou l’actrice Tong Liya, provenant de la province autonome du Xinjiang où vivent les Ouïghours musulmans.
 

. Black Dog (Gou Zhen). Chine, 2024. 110 min. R. Guan Hu. Sc. Ge Rui, Wu Bing, Guan Hu. Déc. Huo Tingxiao. Ph. Gao Weizhe. I. Eddie Peng (Lang), Tong Liya (Raisin), Jia Zhang-ke (Oncle Yao), Xiaoguang Hu (le boucher Hu), Xin (le chien noir). Sortie en France : 5 mars 2025.

 
- Extraits d’interview avec Yann Tobin (22 mai 2024, à Cannes. Trad. Miguel Fialho)